Courrier de LED’A au Premier ministre


Monsieur le Premier Ministre,
C’est avec intérêt que nous avons accueilli votre demande auprès de chaque membre du gouvernement de prendre le temps d’écouter avec attention les difficultés de terrain rencontrées par les associations.
L’association Les Enfants D’Abord ( LED’A )1 œuvre depuis 1988 à l’accompagnement des parents ayant fait le choix responsable, contrôlé et très engageant de l’Instruction En Famille (IEF). La promulgation de la loi dite de lutte contre le séparatisme en 2021, et plus particulièrement de son article 49, a fait évoluer le régime déclaratif (déclaration par les parents du choix d’IEF auprès des services de l’Éducation Nationale et de la mairie afin de diligenter un contrôle annuel de l’instruction ) alors en vigueur en un régime d’autorisation (dossier constitué du CERFA n° 16212*03 dans lequel les familles doivent démontrer par de multiples justificatifs et un projet rédigé que l’IEF dispensée est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant et préférable à la scolarisation)

La restriction de l’IEF par l’article 49 de la loi CRPR, dont plusieurs députés affirmaient qu’il était sans lien avec l’objet de la loi, découle d’une confusion entre l’évitement scolaire (enfants hors cadre légal, en situation de déscolarisation, situation majorée par la période Covid…) et l’instruction en famille (soumise au respect du cadre légal prévu par l’article L131-5 du Code de l’Education avec un renforcement des contrôles et sanction en 2019 via la loi Ecole de la Confiance )1. L

Les rapports DGESCO nous permettent de constater 90% des contrôles sont effectués chaque année (mis à part pendant la crise sanitaire de la COVID).

En 2018-2019, 86,8 % des enfants en IEF (hors CNED réglementé) ont été contrôlés, soit 11994 enfants.

En 2019-2020, 38,2 % des enfants en IEF (hors CNED réglementé) ont été contrôlés, soit 11957 enfants.

En 2021-2022, 94,3 % des enfants en IEF (hors CNED réglementé) ont été contrôlés, soit 47547 enfants.

Nous souhaitons porter à votre connaissance que les résultats des rapports de la DGESCO2 2019/20 et 2021/22 confirmés par l’enquête du sociologue Dominique Glasman3 de 2018 présentaient des profils et des raisons diverses motivant le choix pour ce mode d’instruction. Les non-scolarisations choisies positivement sont donc à distinguer des déscolarisations subies. Ces motivations sont autant d’indicateurs qu’il est nécessaire de prendre en compte au regard des défis qui secouent l’école.

Toujours selon l’étude de Glasman, une majorité de familles opte pour l’IEF par nécessité, en réponse à des difficultés rencontrées par l’enfant au sein du système éducatif traditionnel (phobie scolaire, harcèlement, HPI, hypersensibilité, TDAH, autisme, etc.). Dans ces cas, l’IEF est vue comme une solution temporaire, permettant à l’enfant de se reconstruire avant une réintégration scolaire, qui intervient dans la majorité des cas en moins d’un an après la déscolarisation, et dans 75 % des cas en moins de deux ans. Le quart restant des familles choisit l’IEF de manière plus pérenne. Loin d’être un choix par défaut, l’IEF est souvent perçue par ces familles comme le meilleur moyen d’assurer à leurs enfants une instruction de qualité, adaptée à leurs rythmes et à leurs besoins individuels, notamment leur désir exprimé pour un mode d’instruction hors école. Contrairement aux idées reçues, l’IEF est également un mode de vie réfléchi et responsable pour de nombreuses familles, leur permettant d’organiser leur quotidien autour de l’éducation de leurs enfants de façon harmonieuse et adaptée.

Notre association effectue à ce jour les constats suivants :

 

  • Les contrôles pédagogiques annuels menés dans les familles par les inspecteurs de l’Education Nationale sont satisfaisants à 98% selon les rapports de la DGESCO. Pourtant le taux d’autorisations délivrées chaque année depuis septembre 2022 est bien en-deçà. Dans une QAG datant de juin dernier4, le gouvernement annonce un taux d’autorisation proche de 88%, au 1er décembre pour l’année écoulée. Néanmoins en retirant la part des familles déjà en IEF avant l’entrée en vigueur de la loi et ayant ainsi bénéficié des deux ans dérogatoires, nous tombons plutôt sur 73% d’autorisations délivrées. Il y a donc 25% d’enfants refusés pour qui les contrôles se seraient très certainement conclus favorablement. L’écart entre le taux de réussite pédagogique constatée sur le terrain par les inspecteurs a posteriori et celui des refus opposés a priori à partir de la simple lecture d’un dossier pédagogique témoigne du décalage entre l’esprit de la loi et son application.

 

  • L’interprétation laissée aux académies de ce que constitue une « situation propre » (motif 4) entraîne sur l’ensemble du territoire français une rupture du principe d’égalité. Ces inégalités dans l’octroi des autorisations procèdent d’une interprétation restrictive ou ouverte de la loi laissée au bon vouloir de chacune.

 

  • Lors des débats dans l’hémicycle en 2021, Jean-Michel Blanquer alors Ministre de l’Education Nationale avait promis aux parlementaires et aux familles que « Les familles qui ont choisi l’instruction en famille pour de bonnes raisons n’ont rien à craindre de cette loi et ne devraient pas perdre leur énergie pour rien. » (6 avril 2021 devant le Sénat). Dans les faits notre association est submergée depuis 3 ans par les demandes des familles désespérées en litige avec les services de l’Education Nationale. Une grande partie de ces familles sont en IEF depuis plusieurs années, cumulant les rapports de contrôles pédagogiques satisfaisants. Le décalage entre les observations de terrain des inspecteurs chargés des contrôles et le traitement des dossiers par les services administratifs déconnectés de la réalité de ces familles est injuste, idéologique et inefficace. Seules sont pénalisées les familles qui respectent la loi. Imagine-t-on un séparatiste demander une autorisation et s’embarrasser d’un refus ? Aucun refus d’autorisation n’a à ce jour été délivré au motif de séparatisme ou de maltraitance alors qu’il s’agissait de la raison alléguée pour justifier le changement de régime.

 

  • De nombreuses familles débutant un parcours médical se voient opposer un refus d’autorisation parce qu’elles ne disposent pas encore des bilans nécessaires à l’établissement d’un certificat médical pour motif 1. Cette situation place des enfants en situation de souffrance.

 

Le 23 mai 2024 nous avons été reçus au Ministère de l’Education Nationale par M. Patrice Lemoine (conseiller de Mme Belloubet sur le sujet de l’école pour tous-handicap et santé), M. Marc Pelletier (action éducative à la DGESCO) et M. Laurent Beaudoux (bureau de la réglementation et de la vie des établissements). Nos interlocuteurs ont évoqué « une suradministration » et un possible « excès de zèle » de la part de certains rectorats qui expliqueraient les disparités dans le traitement des demandes d’autorisation d’IEF. Les représentants de la ministre avaient affirmé n’avoir pas d’opposition de principe à l’IEF. Affirmation pourtant contredite par les importants taux de refus constatés à nouveau cette année par notre association.

La nomination de Richard Laganier – recteur de la région du Grand Est tristement connu pour les nombreux refus d’autorisation d’IEF – au poste de conseiller en éducation au cabinet du Premier Ministre ne va pas dans le sens d’un revirement de pratique administrative et laisse présager une homogénéisation défavorable aux familles. Nous estimions déjà que la nomination de la nouvelle directrice générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) Caroline Pascal laissait présager peu de changements dans la gestion actuelle de l’Éducation nationale. Ces craintes se sont vues confirmées le 18 septembre 2024 : interrogée par Xavier Breton en commission des Affaires culturelles, Caroline PASCAL a répondu en parfaite continuité avec la politique de son prédécesseur et travesti la réalité aux yeux des députés (vidéo de l’Assemblée nationale, à 1h 39mn)5.

  • Elle délivre une interprétation erronée des chiffres en s’appuyant sur la béquille que représentaient encore pour 2023-2024 les familles bénéficiant du régime transitoire dit de plein droit. Ces familles qui représentaient ¾ des demandes voyaient leur demande renouvelée automatiquement, sauf cas de force majeure. Comptabiliser ces familles dans les chiffres d’autorisation masque le taux de refus opposé aux primo-demandes.

 

  • L’administration dispose donc bien de chiffres qu’elle refuse encore de communiquer aux associations et aux parlementaires. Nous demandons que nous soient communiqués les chiffres des autorisations et refus par départements, par motif, avant et après RAPO, pour chacune des trois dernières années.

 

  • Elle confirme l’existence d’objectifs nationaux de baisse des effectifs et d’un projet détourné du séparatisme, visant à limiter drastiquement cette liberté éducative. La mise sous autorisation de l’instruction en famille à la place du régime déclaratif relève bien plus d’une interdiction déguisée par idéologie sous couvert de lutte contre le séparatisme.



Cette administration poursuit donc sa méthode de travail : entendre ponctuellement les associations pour ne rien changer, promettre une plus grande justice dans le traitement pour ne rien changer, garantir le renforcement d’une liberté mais la supprimer pour tous, et ne rien changer au projet initial pourtant rejeté par le Conseil d’Etat en décembre 2020.

Sous prétexte de lutte contre le séparatisme, l’article 49 de la loi confortant le respect des principes de la République a imposé un régime d’autorisation qui pèse lourdement sur les familles, les forçant à justifier des choix qui relèvent pourtant de leurs droits fondamentaux, et privant une importante proportion d’entre elles de la possibilité d’opter pour ce mode d’instruction, sans démontrer pour autant de bénéfice concret pour les enfants de ce changement de régime. Les familles se retrouvent régulièrement mises en demeure de scolariser leur enfant dans des établissements qui ne sont pas en mesure de garantir une instruction de qualité en raison du nombre d’enseignants absents, de leur formation fréquemment moindre que celle des parents instructeurs, du manque de moyens de certaines écoles…

Le passage du régime déclaratif au régime d’autorisation entraine une complexification dans le traitement administratif des dossiers et des contentieux qui en découlent. Ceci a un coût que chiffrera la Cour des Comptes qui auditionnera notre association en novembre.

Ce changement de régime, en plus d’être brutal, injuste et inefficace, engendre un gaspillage des ressources humaines, matérielles et financières du pays dans un contexte de dépenses publiques inquiétant pour un bénéfice nul.6

Plusieurs propositions de loi proposant un rétablissement du régime déclaratif ont d’ailleurs été déposées dernièrement. Elles sont soutenues notamment par plusieurs personnalités de votre gouvernement, dont Madame Genevard et Monsieur Retailleau. Des QAG (une centaine à ce jour avec des réponses superficielles bien souvent copiées-collées) sont régulièrement déposées par l’ensemble des groupes politiques pour tenter de comprendre le décalage entre les promesses faites avant le vote de la loi et la réalité des familles. Comme le soulignait, à l’instar d’autres parlementaires, le sénateur Cédric Vial : « dans leurs justifications, les rectorats interprètent la loi dans un sens qui n’est pas celui que nous avons voté ici » (Sénat, compte-rendu de la séance du 11 avril 2023).

Les associations et collectifs locaux n’ont cessé de demander la transparence sur l’application de ce nouveau régime. Malgré l’avis favorable de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), le ministère de l’Éducation Nationale continue de refuser de communiquer les chiffres par département et les directives transmises aux rectorats. Cette opacité est inacceptable dans une démocratie qui se veut respectueuse des droits des citoyens. Notre association a, par l’intermédiaire de notre avocat maître Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, saisi le tribunal administratif pour faire valoir ce droit de communication.

A ce jour nous n’avons toujours pas obtenu de réponse au courrier envoyé au nom de plusieurs associations et collectifs à Madame Belloubet le 27 avril dernier. Nous avons relancé plusieurs fois, en vain. Nous espérons que Madame Genetet et Monsieur Portier se saisiront de celui-ci afin d’y apporter une réponse satisfaisante.7 Nous vous prions de trouver ce courrier en pièce jointe.

Nous attendons donc de la nouvelle ministre de l’Éducation, Anne Genetet, et du ministre délégué chargé de la réussite scolaire, Alexandre Portier, un vrai changement de cap, prenant enfin en compte les difficultés de terrain et les conséquences parfois douloureuses pour les familles.



  • En raison de l’urgence dans laquelle se trouvent les familles, nous demandons un assouplissement de la situation actuelle par voie réglementaire afin de revenir à l’esprit initial de la loi tel que présenté aux parlementaires dans l’hémicycle : que le dépôt d’une demande d’autorisation dûment complète administrativement via le CERFA ad hoc entraine la délivrance de l’autorisation et qu’un contrôle pédagogique satisfaisant entraîne la reconduction automatique de l’autorisation.

 

Monsieur le Premier Ministre, nous avons écouté aujourd’hui attentivement votre discours de politique générale, espérant de tout cœur que les actions concrètes et le retour au bon sens l’emportent enfin sur les réponses vides et déconnectées de la réalité de terrain. Les familles investies « qui font bien » méritent bien mieux que d’être les victimes collatérales d’une loi qui, en plus d’être injuste, rate sa cible. Nous souhaitons que les parents retrouvent leur pleine responsabilité dans les choix éducatifs, qu’ils puissent à nouveau pleinement s’engager auprès de leurs enfants s’ils le souhaitent et vous remercions sincèrement pour l’intérêt accordé à notre requête.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération.

pour l’Association LED’A (Les Enfants d’Abord)

Voici la réponse de Michel Barnier, actuel Premier Ministre, au courrier envoyé par LED’A le 1 octobre 2024. Au regard de la situation politique actuelle nous attendons de voir s’il y a évolution des ministres en place avant de poursuivre nos sollicitations.

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