Synthèse
Instruction en famille : enfin quelques chiffres, qui confirment la politique de restriction importante
Après deux années de procédures, l’association Les Enfants d’Abord- LED’A a enfin obtenu du ministère de l’Éducation nationale, très réticent, les premiers chiffres détaillés officiels sur l’application du régime d’autorisation de l’instruction en famille (IEF), instauré en 2021. Ces données, limitées à l’année 2022-2023, confirment une restriction marquée : dans certains départements, les taux de refus atteignent 100 %, notamment pour le motif lié à la situation propre de l’enfant justifiant le projet éducatif. Le ministère a tenté de minimiser ces chiffres en intégrant les dérogations dites de « plein droit » dans ses bilans. Malgré les engagements du gouvernement, les interprétations locales restent disparates et opaques. Le régime actuel crée un climat d’incertitude et d’arbitraire, fragilisant les familles et surchargeant les administrations. Depuis l’application de la loi, le nombre d’enfants instruits en famille a chuté de près de 60 %. Le remplacement récent du vademecum encadrant les inspections accentue encore les inquiétudes.
L’association reste mobilisée pour obtenir les chiffres complets des années 2023/24 et 2024/25, ceux des contentieux, les rapports de la DGESCO, et les instructions données aux rectorats, qui font également l’objet de plusieurs recours judiciaires, et surtout pour contester ce dispositif inefficace, injuste, et chronophage, qui pèse lourdement sur les familles sans bénéfice démontré pour l’intérêt général.
Instruction en famille – Le ministère nous fait enfin l’aumône de quelques chiffres !
Après presque 2 ans d’attente, une saisine de la CADA et une procédure judiciaire, le ministère de l’Éducation nationale fournit enfin à LED’A des chiffres détaillés concernant l’application du nouveau régime d’autorisation de l’instruction en famille (IEF), en vigueur depuis 2021, mais seulement pour la première année d’application de la loi (année scolaire 2022-2023). Une procédure est toujours en cours pour obtenir les chiffres des années suivantes ainsi que ceux des contentieux devant les juridictions administratives.
Une politique de rétention des chiffres jusqu’au bout
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime encadrant l’IEF, les familles et les associations n’ont cessé d’interpeller les élus pour dénoncer les difficultés rencontrées sur le terrain. De nombreux parlementaires ont régulièrement questionné le gouvernement, exigeant des chiffres permettant d’y voir clair sur l’application de la nouvelle loi. Pourtant, malgré les obligations de transparence propres à une démocratie, le ministère de l’Éducation nationale s’est jusqu’ici contenté de donner des chiffres peu informatifs et présentés d’une manière trompeuse. Face à l’opacité persistante de l’administration, notre association, accompagnée de son avocat, Maître Fitzjean O Cobhthaigh, a dû saisir la CADA, puis engager un recours en justice long et coûteux. Resté silencieux de longs mois malgré les injonctions de la CADA et du tribunal, ce n’est qu’après l’annonce de la clôture imminente de la procédure que le ministère a enfin communiqué partiellement les données (refus et autorisations, avant et après RAPO, par motif et par département). Le 22/05/2025, le ministère a également publié de façon parcellaire des chiffres pour 2023/241 en réponse à la question au Gouvernement du 31//10/24 de la sénatrice Madame Vérien.
Mais à ce jour, les chiffres des contentieux devant les tribunaux administratifs, les chiffres des années suivantes, les rapports de la DGESCO et les consignes données aux rectorat restent toujours sous clé.
Pourquoi d’aussi vives réticences à la transparence ?
Notre analyse des chiffres
Une lecture attentive des chiffres confirme que les gouvernements successifs ont maintenu le cap visant à l’interdiction de l’IEF, défendu par le gouvernement dans l’étude d’impact de 2020 face au Conseil d’Etat, qui avait pourtant rejeté cette copie initiale2. Le président de la République, seul à l’origine de cette volonté d’interdiction3, semble donc toujours s’obstiner dans la réduction drastique de la possibilité pour les jeunes de suivre une instruction hors école.
Ces chiffres de la première année permettent d’objectiver les constats de terrain que nous faisions à ce moment-là4 : une application totalement disparate sur le territoire (Doc.1, 3 et 4), et excessivement restrictive par rapport aux objectifs annoncés, notamment sur le motif d’autorisation numéro 4 (situation propre à l’enfant motivant un projet éducatif) (Doc.2, 3 et 4), celui qui était censé permettre une certaine ouverture au choix pédagogique de la famille.
1. Refus initiaux tous motifs confondus (hors plein droit) par département en 2022-2023:
2. Taux nationaux d’autorisation par motif :
3. Répartition autorisations / refus motif 4 par académie en 2022 (hors plein droit)
4. Taux d’autorisation et refus initiaux motif 4 par département
Sur ce motif 4, comme sur le n°2 (pratique artistique ou sportive intensive), et le n°3 (itinérance, éloignement géographique), le taux d’autorisation varie carrément de 0 à 100% selon les départements. Autant dire que ni les DSDEN chargées de répondre aux demandes, ni les commissions de recours n’avaient à ce moment aucune idée de la façon dont il devait être interprété. Trois ans plus tard, les DASEN changent mais les politiques d’application demeurent une fois qu’elles ont commencé à faire baisser les chiffres.
Au niveau national, 43% des dossiers ont été initialement refusés par les DSDEN et encore 35% le restent après recours administratif (RAPO), alors que, les porteurs du projet de loi l’assuraient, cette mise sous autorisation était censée conforter notre liberté et s’assurer uniquement du respect des valeurs de la République.
Même le motif 1 (santé, handicap) a été refusé jusqu’à plus de 50% dans certains départements. Il ne s’agit pourtant pas de remettre en question le modèle inclusif de l’école mais bien de permettre au jeune de bénéficier de la meilleure forme d’instruction qui soit au regard de sa maladie/ ou de son handicap.
Ces chiffres font aussi apparaître l‘utilisation trompeuse par le ministère des taux d’autorisation de la dérogation du « plein droit » pour masquer des refus allant jusqu’à plus d’un tiers des dossiers pour le motif 4 au niveau national chez les nouveaux jeunes en IEF n’ayant pas accès à cette dérogation.
En effet, comme nous le dénoncions à chaque réponse du ministère aux parlementaires, celui-ci tentait de rassurer la représentation nationale sur le taux d’autorisation global en annonçant 90% d’autorisation aux demandes et de jeter le discrédit sur les retours des familles et des acteurs de terrain faisant face aux refus. Pour cela il incluait dans les statistiques les autorisations délivrées aux jeunes bénéficiant du régime dérogatoire de « plein droit » prévu pour deux ans pour celles et ceux déjà en IEF, venant ainsi gonfler les taux moyens. Si nous retirons les « plein droit » des moyennes, nous voyons clairement apparaître une forte différence de traitement exercée à l’endroit des « nouveaux entrants » en IEF, majoritairement ceux se réclamant du motif 4. Notre travail de terrain indique qu’il s’agit essentiellement de jeunes de 3 à 6 ans ou encore de jeunes souhaitant être instruits hors école suite à une mauvaise expérience dans le cadre scolaire.
Dernier point frappant quant à ces chiffres. Nos bénévoles qui accompagnent sans relâche les familles depuis trois ans le constatent également avec amertume :les familles se trouvent en très grande difficulté pour constituer un Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO)dans le délai très serré de 15 jours : en effet, seulement entre 30 et 50% des familles parviennent à s’en saisir (Doc. 5). Il est à noter que les résultats d’autorisation après recours sont tout aussi aléatoires que ceux des décisions des DSDEN.
5. Proportion de refus donnant lieu à RAPO puis à autorisation par motif en 2022-2023
La suite
Le ministère a promis à maintes reprises une harmonisation des interprétations. Après 3 ans d’application, nous ne la voyons toujours pas venir, ni sur le terrain, ni sur les quelques chiffres dont nous disposons pour les années suivantes. Pour en avoir le cœur net, nous restons dans l’attente des chiffres détaillés des deux années suivantes, qui ont fait également l’objet d’une saisine de la CADA, puis après avis favorable, d’un recours devant le tribunal administratif de Paris.
Nous attendons également que les consignes annoncées par le ministère visant à cette fameuse harmonisation par ses services nous soient communiquées. Celles-ci font l’objet de la même rétention et des mêmes recours.
S’agissant des importants taux de refus, dans le cadre du bilan de la loi confortant le respect des principes de la République du 16 janvier dernier, le Gouvernement a également exprimé son souhait de « trouver le moyen juridique de circonscrire le régime d’autorisation préalable aux seuls cas problématiques, sans embêter […] les autres familles.1 Les taux de refus sont pourtant toujours également du même ordre à l’heure actuelle.
Ce que nous en pensons
La problématique d’harmonisation est due aux termes très génériques définis par la loi. Une harmonisation dans l’esprit de la loi ne devrait pas permettre des taux de refus aussi importants que nous le constatons encore actuellement. Si les critères appliqués actuellement étaient rendus publics, ils montreraient certainement des écarts importants avec les objectifs annoncés au législateur.
À l’heure actuelle, la jurisprudence fait peu à peu un travail d’élagage très lent, durant lequel les familles sont soumises aux aléas et à l’arbitraire.
En tout état de cause, qu’une harmonisation ait finalement lieu ou pas, nous restons profondément hostiles à ce nouveau régime qui, sous couvert de lutter contre un prétendu séparatisme en IEF, que le ministère de l’Intérieur lui-même chiffre au mieux à moins de 1%2, permet de refuser l’accès à ce mode d’instruction à une famille sur 4 tous motifs confondus et à plus d’un tiers pour celles qui ne peuvent pas se prévaloir de spécificités.
D’après le ministère de l’intérieur les effectifs nationaux sont passés de 72 369 jeunes en 2021-2022 à 30 644 en novembre 20243, soit une chute de presque 60% depuis la mise en place de la loi4.
Et même si les taux de refus s’amélioraient, ce qui ne semble pas sur le point d’arriver, ce régime d’autorisation reste inutile puisque les contrôles (positifs à 98%) étaient suffisants pour repérer d’éventuelles problématiques (les dossiers fournis dans le cadre de l’autorisation, eux, ne permettent pas de repérer d’éventuelles atteintes aux valeurs de la République) ; son application relève de l’excès de pouvoir chronique et constitue un nid à contentieux (480 ordonnances de référé-suspension ont été rendues par les tribunaux administratifs au titre de la campagne 2024-2025
https://www.education.gouv.fr/la-lettre-d-information-juridique-ndeg-234-mars-2025-449973 )
Ce régime constitue également une grande source de stress, l’incertitude sur leur avenir pesant chaque année sur les familles ; mais aussi une perte de temps colossale pour les familles et pour les services administratifs. Il génère enfin une perte de confiance des familles face à l’injustice et aux abus.
Les débats du 16 janvier dernier à l’assemblée nationale ont amené des critiques du régime d’autorisation de la part de députés de tous bords5.
Le ministère a reçu notre association à plusieurs reprises, nous avons également été auditionnés par la Cour des Comptes et par les parlementaires, nous avions formulé des propositions d’amélioration, pour autant, nous ne sommes pas entendus, le ministère refuse de faire évoluer le cadre réglementaire, et ses derniers agissements nous inquiètent particulièrement pour l’avenir de l’IEF, alors qu’elle n’avait jamais été sérieusement remise en question avant la présidence d’Emmanuel Macron : récemment, le vademecum de l’instruction en famille qui détaillait les droits des familles et les devoirs des inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) en charge du contrôle annuel a été supprimé du site du ministère et remplacé par un texte très allégé qui ne rappelle plus aux IEN leurs devoirs de neutralité, et de respect des choix pédagogiques et des besoins du jeune.
Nous mettons sur ces liens à la disposition des familles, des collectifs et des acteurs publics (élus, médias, etc.) l’ensemble des chiffres tels qu’ils nous ont été transmis par le Ministère, ainsi que quelques éléments statistiques.
Les chiffres 2022-2023 tels que fournis par le ministère
Le courrier d’accompagnement
Quelques éléments d’analyse statistique
https://blog.lesenfantsdabord.org/wp-content/uploads/2025/05/Analyse-statistique-2-DGESCO-22-23.pdf
Association LED’A
2 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2024-2025/premiere-seance-du-jeudi-16-janvier-2025 et https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_etude-impact.pdf
3 cf. discours des Mureaux du 2/10/2020 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes
4 https://blog.lesenfantsdabord.org/ief-au-pied-du-mur/ et https://blog.lesenfantsdabord.org/le-scandale-de-linstruction-en-famille-sous-autorisation/
5 Propos de Monsieur Jean-Noël Buffet dans le cadre du bilan de la loi confortant les principes de la République, le 16 janvier 2025 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2024-2025/premiere-seance-du-jeudi-16-janvier-2025
6 Le 5 avril 2023, dans le cadre du bilan de la loi CRPR, Mme Backès, alors secrétaire d’Etat à la Citoyenneté auprès du ministère de l’Intérieur déclarait :
«[…] avec ce texte, il s’agissait d’identifier les élèves instruits en famille qui étaient entièrement sortis du système républicain. Je l’ai dit à plusieurs reprises, s’ils ne représentaient que quelques dixièmes de pour cent des élèves bénéficiant de l’IEF, c’est-à-dire quelques dizaines ou centaines de personnes, ils existaient.» https://www.vie-publique.fr/discours/289009-sonia-backes-05042023-loi-separatisme
7 https://blog.lesenfantsdabord.org/instruction-en-famille-une-etude-dimpactinsuffisante-inconsequente-et-insultante/
8 Même s’il faut tenir compte de la réduction due à la fin de la crise covid, celle-ci n’explique pas tout, loin de là : l’effectif donné pour 2024 est inférieur à celui de 2018-2019 : 35 965 enfants, alors même que celui-ci ne comprenait pas encore les effectifs des 3-6 ans, qui ne sont entrés dans les décomptes IEF qu’après l’entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance en 2019, rendant l’instruction obligatoire pour cette tranche d’âge. Pour 2019-2020 les effectifs s’élevaient à 48 008 enfants, dont 11 081 enfants de 3 à 5 ans. Les enquêtes de la Dgesco comprenant les effectifs des différentes années sont disponibles en lien sur ces pages : https://blog.lesenfantsdabord.org/les-rapports-de-la-dgesco-2016-2017-et-2018-2019-sont-enfin-arrives-dans-la-boite-aux-lettres-de-leda/ et https://blog.lesenfantsdabord.org/les-rapports-de-la-dgesco-des-annees-2019-20-et-2021-22-communiques/