A- Jurisprudence CLOCHARD
B- Recours en référé
C- Jurisprudences sur les référés
- Ordonnance du 26 août 2004, Tribunal administratif de Toulouse
- Ordonnance du 4 septembre 2001, Tribunal Administratif de Melun
- Jurisprudence en matière correctionnelle
A- Jurisprudence CLOCHARD
Tribunal Administratif de Poitiers, jugement du 12 octobre 2006 : le contrôle de l’instruction dans la famille n’est pas un contrôle de niveau.
Une mère ayant fait le choix de l’instruction en famille a refusé d’obéir à une injonction de scolariser son fils de 7 ans, bilingue français-anglais. L’inspection académique a considéré que l’instruction était insuffisante car son fils n’avait pas atteint un niveau en lecture et en écriture identique aux enfants scolarisés de même âge. La mère a exercé un recours en annulation de cette décision auprès du tribunal administratif de Poitiers. Cependant, entre-temps, l’affaire avait été déférée au tribunal correctionnel d’Angoulême car le refus de d’obéir à la mise en demeure est sanctionnée pénalement. La maman a été condamnée sévèrement par le tribunal correctionnel d’Angoulême, par jugement du 5 avril 2006, à 15 jours de prison avec sursis. La mère a fait appel de ce jugement. Le 12 octobre 2006, le tribunal administratif de Poitiers a rendu un jugement annulant la mise en demeure pour les motifs indiqués ci-après. Quant à l’infraction, la Cour d’appel de Bordeaux, troisième chambre, a rendu un arrêt le 14 février 2007 infirmant le jugement du tribunal correctionnel d’Angoulême au motif que : « le tribunal administratif de Poitiers ayant annulé la mise en demeure de scolarisation adressée à Mme (…) par l’inspecteur d’académie de la Charente, préalable nécessaire aux poursuites, l’infraction reprochée n’est pas constituée. »
Après cette procédure courageuse, la mère n’est donc pas en infraction et peut continuer l’instruction dans la famille ! De plus, le jugement nous donne quelques indications sur l’objet du contrôle de l’instruction :
Motifs principaux du jugement n° 0600013 du 12 octobre 2006, tribunal administratif de Poitiers, deuxième chambre :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que si, en application des dispositions précitées de l’article L. 131-10 du code de l’éducation, il incombe à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, de s’assurer que l’enseignement délivré dans la famille est conforme au droit de l’enfant à l’instruction tel que défini à l’article L. 131-1-1 du même code, ce contrôle, qui ne porte d’ailleurs pas uniquement sur l’acquisition des connaissances, n’a pas pour objet de s’assurer que le niveau de l’enfant est équivalent à celui d’un enfant de même âge scolarisé, compte tenu de la liberté de choix laissée aux parents dans les modalités de l’apprentissage éducatif ; qu’il s’ensuit que dans le cas où le contrôle révèle une distorsion entre les connaissances de l’enfant concerné et celles habituellement acquises par les enfants de même âge scolarisés, ce simple constat ne peut à lui seul caractériser une insuffisance des résultats du contrôle de nature à justifier que les parents soient mis en demeure d’inscrire leur enfant dans un établissement d’enseignement public ou privé ;
Considérant que la décision contestée de l’inspecteur d’académie de la Charente a été prise au motif qu’à l’issue des contrôles réalisés les 25 mars et 17 mai 2005, le jeune (…) présentait un retard d’environ un an et demi dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux par rapport aux enfants de son âge scolarisés ; que ce seul motif ne pouvait à lui seul fonder la décision contestée ; qu’il résulte en outre des pièces du dossier que ce constat d’insuffisance a été réalisé moins d’un an après le début de l’instruction obligatoire du jeune (…), dont l’enseignement se déroule de façon bilingue, compte tenu de l’origine américaine de sa mère ; qu’en outre, les dates rapprochées des deux contrôles n’ont pas permis de révéler une éventuelle progression de l’enfant dans l’acquisition des connaissances que doit lui apporter son instruction et qui sont fixées par les articles D. 131-12 et suivants du code de l’éducation ; qu’il s’ensuit que l’inspecteur d’académie de la Charente n’a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le droit à l’instruction du jeune (…) n’était pas assuré dans sa famille et mettre en demeure ses parents de l’inscrire dans une école à compter du 3 novembre 2005 doit, dès lors être annulée ;
(…)
DECIDE :
Article 1er : La décision de l’inspecteur d’académie de la Charente en date du 13 octobre 2005 est annulée.
(…)
B- Recours en référé
Quel recours ont les parents contre une injonction de scolariser de l’inspecteur d’académie?
Lors des débats au Sénat qui ont précédé le vote de la loi, le sénateur Pierre Lafitte s’est interrogé sur les possibilités d’appel et des recours ouverts aux familles. Le rapporteur Carle répond: » Les sanctions ne seraient prononcées qu’à l’issue de deux contrôles qui feraient apparaître des résultats très insuffisants… Il serait opportun que les contrôles prévus soient effectués par deux inspecteurs différents mais une procédure de recours ou d’appel risquerait d’être utilisée par les familles comme un moyen dilatoire. »
Aucune des garanties évoquées n’ont été consacrées par les textes. Les parents peuvent introduire un recours administratif, mais la procédure administrative peut être très longue (plusieurs mois) alors que la mise en demeure de scolariser est assortie légalement d’un délai de 15 jours, sanctions pénales à l’appui !
Compte tenu des libertés en jeu, les garanties contre une décision administrative injuste sont extrêmement faibles.
Seule la procédure de référés, récemment modifiée par une loi du 30 juin 2000 permet aux parents de demander la suspension de la décision administrative en cas d’urgence et de doute sérieux quant à la légalité de la décision.
C- JURISPRUDENCES SUR LES RÉFÉRÉS
1- Ordonnance du 26 août 2004, Tribunal administratif de Toulouse
Les parents de deux enfants instruits depuis toujours hors école ont obtenu la suspension d’une mise en demeure de scolariser leurs fils de 15 ans et demi dans un établissement d’enseignement. Cette injonction faite au mois de mai 2004, obligeait les parents à scolariser leur fils sous 15 jours dans un collège alors que les contrôles de l’inspection académique n’avaient jamais posé de problèmes auparavant. Les contrôles précédant la mise en demeure ont été faits par des enseignants d’un collège public.
Le juge des référés a suspendu la mise en demeure en raison de l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration et du vice de procédure: « les parents n’ont pas été mis en mesure de fournir leurs explications ou d’améliorer la situation à l’issue du premier contrôle de l’instruction ».
Pour télécharger l’ordonnance en PDF, cliquez ici.
2- Ordonnance du 4 septembre 2001, Tribunal Administratif de Melun
Une famille a assigné en référé l’Inspecteur d’Académie de Seine & Marne pour contester une mise en demeure d’inscrire leur fille dans un établissement d’enseignement. Elle a argué que cette décision avait été prise en violation des articles L131-10, L122-1 du code de l’éducation,violation du décret 99-224 du 23 mars 1999 et violation de l’article P1-2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. De plus, un seul contrôle avait eu lieu dans l’année scolairealors que la loi prévoit un deuxième contrôle lorsque les résultats du premier sont jugés insuffisants.
Cette famille – mère violoniste, professeur en conservatoire – père informaticien – pratique une pédagogie très ouverte inspirée de Celestin Freinet. Leurs enfants sont instruits à la maison depuis toujours.
Une audience publique a eu lieu le 4 septembre 2001 au Tribunal administratif de Melun. Les observations orales du juge des référés étaient les suivantes :
Le problème dans cette affaire est de concilier deux droits et libertés :
– la liberté de l’enseignement qui est un principe consitutionnel et le droit des parentsde choisir l’éducation qu’ils désirent pour leurs enfants résultant de l’article P1-2 de laConvention européenne des droits de l’enfant, d’une part;
– le droit des enfants à l’instruction, d’autre part. Il ajoute que la loi de 1998 a été voté afin de protéger les enfants contre l’enseignement sectaire.
Il convient donc d’appliquer strictement les textes de loi afin de protéger ces deux droits. La loi prévoit deux contrôles: si le premier contrôle fait apparaître des lacunes, l’inspecteur doit informer les parents et leur donner un délai pour remédier à ces problèmes.
Un deuxième contrôle doit avoir lieu à la suite duquel les résultats sont notifiés aux parents et une injonction de scolariser peut avoir lieu.
Dans cette affaire un seul contrôle a eu lieu.
Le juge a conclu que l’inspecteur devait procéder à un deuxième contrôle, en donnant aux parentsun délai raisonnable pour remédier aux lacunes constatées.
Voici les attendus écrits de l’ordonnance du juge :
Considérant qu’aux termes de l’article L.521-1 du code de justice administrative :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ouen réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie etqu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) » et qu’aux termes de l’article L.522-1 dudit code . « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L.521- 1 et L.521 -2, de les modifierou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique (…) » ,
Considérant que l’injonction adressée par l’inspecteur d’académie de Seine-et-Marne auxrequérants d’avoir à scolariser leur fille S(…), âgée de douze ans et qui avait reçu jusque là l’instruction au domicile parental, dans un établissement d’enseignement public ou privé à compter du 5 septembre 2001, injonction qui restreint fortement et de matière immédiate l’exercice par les intéressés de la liberté constitutionnelle d’enseignement, porte une atteintesuffisamment grave et immédiate à leurs intérêts pour que la condition d’urgence prévue par l’artic1e L. 521 – 1 précitée soit considéré comme remplie ;
Considérant par ailleurs qu’aux termes de l’article L. 131-10 du code de l’éducation : « Les enfants soumis à l’obligation scolaire qui reçoivent l’instruction dans leur famille sontdès la première année, et tous les deux ans, l’objet d’une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d’établir qu’elles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et s’ il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est communiqué à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale… L’inspecteur d’académie doit au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d’instruction de la famille, faire vérifier que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction tel que défini à l’article L. 122-1. Ce contrôle prescrit parl’inspecteur d’académie a lieu notamment au domicile des parents de l’enfant… Le contenu des connaissances requis des élèves est fixé par décret. Les résultats de ce contrôle sont notifiés aux personnes responsables avec l’indication du délai dans lequel elles devront fournir leurs explications ou améliorer la situation et des sanctions dont elles seraient l’objet dans le cas contraire. Si, au terme d’un nouveau délai fixé par l’inspecteur d’académie, les résultats du contrôle sont jugés insuffisants, les parents sont mis en demeure, dans les quinze jours suivant la notification, à inscrire leur enfant dans un établissement d’enseignement public ou privé et de faire connaître au maire, qui en informe l’inspecteur d’académie, l’école ou l’établissement qu’ils auront choisi. ». qu’il est constant qu’au titre de l’année scolaire 2000-2001, la jeuneS(…) n’a fait l’objet que d’un contrôle le 12 juin 2001, suivi immédiatement le 19 juillet2001 par l’envoi aux parents de l’injonction critiquée ; que cette circonstance suffit, au regard des prescriptions de l’article L. 131 – 10 susrappelées pour faire naître un doute sérieux quant à la légalité de L’injonction attaquée ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la suspension immédiate de cette injonction et cela jusqu’à ce que les autorités académiques aient pu, dans le respect des prescriptions légales, mettre en demeure les requérants de remédier aux lacunes dans l’instruction de leur fille S(…) relevées lors du premier contrôle du 12 juin 2001, en leur laissant un délai suffisant à cette fin, et, après un deuxième contrôle, prendre une nouvelle décision sur le respect du droit à l’instruction del’enfant au sens de l’article L. 122-1 du code de l’éducation ;
ORDONNE .
. Article 1er. L’exécution de la décision de l’inspecteur d’académie de Seine-et-Mame du 19juillet 2001 susvisée est suspendue jusqu’à ce que les autorités académiques aient pu, dans lerespect des prescriptions légales, mettre en demeure les requérants de remédier aux lacunes dansl’instruction de leur fille S(…) re1evées lors du premier contrôle du 12 juin 2001, en leurlaissant un délai suffisant à cette fin, et, après un deuxième contrôle, prendre une nouvelle décision sur le respect du droit à l’instruction de l’enfant au sens de l’article L. 122-1 ducode de l’éducation.
Article 2 . La présente ordonnance sera notifiée à (…)
Fait à Melun, le 4 septembre 2001
Le président de la 5ème chambre,
signé . Guy ROTH
Suite de cette affaire
A la suite de l’ordonnance de référés, l’Inspecteur d’Académie a décidé de retirer sa décision en s’engageant à suivre la procédure prévue par la loi. Par ordonnance du 26 mars 2002 du Président du tribunal administratif de Melun, l’Education Nationale a été condamnée au remboursement des frais de justice engagés par la famille.
3 -Jurisprudence en matière correctionnelle
Plusieurs familles étrangères habitant en France instruisent leurs enfants principalement dans leur langue maternelle, le français est appris comme deuxième langue. Le décret définissant les connaissances que doivent avoir les enfants non scolarisés indique que les enfants doivent acquérir la maîtrise de la langue française. Faut-il que tout soit enseigné en français ? Dans la mesure où le décret indique que les contrôles doivent tenir compte d’une progression globale mise en place par les parents, peut-on imposer aux enfants étrangers le même rythme d’acquisition que les enfants français ?
Questions qui restent toujours en suspens après l’arrêt de la Cour d’appel de Pau, du 18 juin 2002, qui a de nouveau reproché à l’Education Nationale de n’avoir pas suivi la procédure prévue par l’article L.131-10 du Code de l’Education.
Un couple allemand habitant en France depuis fin 1998 a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Tarbes pour avoir soustrait, sans motif légitime, à une de ses obligations légales, compromettant ainsi gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l ‘éducation des enfants, en n’ayant pas inscrit dans un établissement d’enseignement sans excuse valable en dépit d’une mise en demeure de l’inspecteur d’académie, ses deux enfants, » infraction prévue à l’article 227-17 al.1 du Code pénal. Cette infraction grave est passible d’une peine maximum de 2 ans de prison et 30000 € d’amende.
L’Education Nationale reprochait essentiellement aux parents le manque de maîtrise par leurs enfants de la langue française. Le couple utilise une pédagogie basée sur les idées de Maria Montessori et Jean Piaget. Les enfants apprenaient principalement en allemand au moment de l’inspection. Depuis, ils suivent des cours de français avec une association.
Le tribunal correctionnel a prononcé la culpabilité du couple.. Celui-ci a fait appel de cette décision. La Cour d’appel a infirmé le jugement du tribunal au motif que l’inspecteur d’académie n’avait pas suivi correctement la procédure:
« L’examen des pièces révèle en effet qu’un premier contrôle effectué en novembre 1999 n’a fait l’objet d’aucune notification précise des résultats, ni d’un délai permettant aux intéressés de fournir des explications ou de proposer des améliorations. Il semble qu’à ce stade là, il a été simplement proposé des cours par correspondance…
Il est difficile dans ces conditions, en l’absence de notification explicite, de reprocher aux parents une insuffisance qu’ils n’étaient pas capables de corriger en connaissance de cause. Dès lors, Monsieur l’Inspecteur d’Académie ne pouvait délivrer dans un second temps la mise en demeure préalable aux poursuites. »
Cour d’appel de Pau, 1ère Chambre Correctionnelle, arrêt du 18 juin 2002