Retour à l’école En Marche Forcée?

Sortie des décrets relatifs aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille

Les décrets  relatifs aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille n°2022-182, n°2022-183 et n°2022-184 viennent de paraître (15 février 2022) (1) et confirment les craintes déjà exprimées par les associations et les familles de plus de 65 000 enfants instruits en famille (IEF) lors de la parution du projet de décret, dans la presse, début novembre. 

Méprisant sur le fond et sur la forme le travail avec les représentants de la société civile, le gouvernement a rendu sa copie, bafouant entre autres les recommandations des scientifiques, de la défenseure des droits et des conventions internationales, aux dépens de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Les associations d’instruction en famille  qui alertent sur les mesures sont déterminées à engager des recours et comptent bien faire valoir la réserve d’interprétation émise par le Conseil Constitutionnel concernant le décret d’application.

Elles dressent l’amer constat de l’échec de la politique gouvernementale en matière d’éducation et du mépris des familles, qu’elles pratiquent l’instruction en famille  ou que les enfants soient scolarisés. Niant les problématiques rencontrées en milieu scolaire et une gestion de crise sanitaire déplorable dans les établissements, le gouvernement répond ainsi à la recherche de solutions des citoyens en retirant les canots de sauvetage d’un navire qui prend l’eau.

L’association L’EDA appelle à une réelle concertation sur l’instruction en famille et une profonde réforme du système éducatif en s’appuyant sur les études en sciences de l’éducation, les professionnels de terrain et la société civile. 

Indignation, sentiment de mépris, colère face aux méthodes de travail du gouvernement

Alors que les décrets étaient attendus le 1er février, le gouvernement avait dû rétropédaler suite au passage du projet de décret devant le Conseil National Consultatif pour les Personnes Handicapées qui avait alors dénoncé les agissements du ministère et émis un avis défavorable en relevant notamment une mesure illégale (2).

Nous dénonçons le mode opératoire pratiqué par le gouvernement: mépris, autoritarisme, mensonges, manipulations de l’opinion, amalgames, rétention d’informations.

Durant tout le processus législatif, aucun chiffre n’est venu soutenir la thèse de la présence de radicalisation au sein de l’instruction en famille.

Le ministère a systématiquement refusé de communiquer les rapports de la Dgesco (3), pour finalement consentir à les rendre public, non sans cynisme, quelques jours après la promulgation de la loi,.

Led’a a dénoncé la grande improvisation dans la rédaction de ce décret (4). Un travail non concerté, dépourvu de direction claire et de fondements réfléchis, un florilège de mesures à charge contre les familles et sans lien avec l’esprit de la loi. Nous avons alerté les députés et sénateurs afin qu’ils interrogent le ministre sur ces textes, nous sommes toujours en attente des réponses aux questions posées au gouvernement (QAG). Les associations ayant manifesté leur volonté de participer à la réflexion sur le décret quant à elles se sont vues opposer une fin de non recevoir.

Des mesures abusives, infondées et discriminatoires qui vont à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la réserve émise par le Conseil Constitutionnel

Les décrets négligent les obligations prévues par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) et les recommandations de la défenseure des droits relatives à la prise en compte de la parole de l’enfant.

Ils ratent complètement leur cible et imposent des conditions plus restrictives que la loi :

  • exigence de présentation par la personne chargée de l’instruction du diplôme du baccalauréat ou équivalent, uniquement pour les familles relevant du 4e motif

Nous demandons le retrait de cette mesure. discriminatoire, infondée et non prévue par la loi.

  • limitation du dépôt des demandes d’autorisation à une période courant de mars à mai, à des fins administratives aux dépens de l’intérêt supérieur de l’enfant, alors qu’une part significative de jeunes sont déscolarisés en cours d’année pour différentes raisons non prévues dans les exceptions : harcèlement, phobie, mal être, projet de pratique intensive, projet impliquant une itinérance…

Nous demandons le retrait du délai de dépôt des demandes d’autorisation, qui n’est pas du tout envisagé par la loi, et sans aucun lien avec la radicalisation, ainsi que la possibilité de déscolariser en cours d’année sans condition.

  • composition de la cellule de recours qui en fait un organe juge et partie. En l’état c’est un simple organe de validation des décisions du DASEN, qui fera seulement perdre un temps précieux aux familles. Nous demandons :

    • une représentation paritaire avec des représentants d’associations d’instruction en famille, des parents d’élèves, des parents d’enfants en situation de handicap et de jeunes.

    • un allongement du délai de recours contre les décisions de refus à une période de 2 mois au lieu des 8 jours mentionnés ;

  • Certaines exigences relatives au projet pédagogique « rythme et durée des activités » qui, du fait de leur incompatibilité avec de nombreuses pédagogies, portent atteinte de manière injustifiée à la liberté pédagogique;

  • L’obtention de l’avis du directeur d’un établissement en cas d’atteinte à l’intégrité physique ou morale pour pouvoir retirer son enfant de l’école en urgence aura des conséquences sur la santé de l’enfant qui attendra un rendez-vous et une reconnaissance de son statut de victime qui bien souvent ne viennent pas.

Cette rédaction abusive et sans lien avec les problématiques de radicalisation est révélatrice de l’incohérence qui sous tend cette loi, et que nous n’avons cessé de dénoncer : un régime d’autorisation a priori est inopérant pour détecter les projets qui seraient déviants (quel « séparatiste » fera part ouvertement de ses projets au DASEN ?), seuls des contrôles a posteriori correctement effectués permettent de mettre en lumière des faits manifestes. Partant de là, on comprend qu’il soit ardu de trouver des critères cohérents avec les objectifs.

Par ailleurs, du fait des contraintes disproportionnées, ces mesures pourraient même avoir l’effet contraire à celui recherché en poussant un certain nombre de familles à ne plus tenir compte de la loi (cf. les études de Rebecca English et le sénat en Australie (5)).

Pour rappel, le Conseil Constitutionnel, qui avait validé le régime d’autorisation en balayant d’un revers de main les contributions extérieures, avait toutefois émis une réserve d’interprétation concernant l’application des décrets en estimant que les modalités et la décision de délivrance de l’autorisation devraient exclure toute discrimination. Nous ne manquerons pas de demander aux juges d’étudier la question en regard de ces mesures.

L’échec scolaire du MEN

Led’a, acteur de terrain et défenseur de la liberté d’instruction depuis plus de 30 ans, ne peut que dresser l’amer constat de l’échec de la politique gouvernementale en matière d’éducation, et de la désinvolture manifeste avec laquelle sont considérés la vie et l’épanouissement des enfants de France (6).

Familles IEF – familles d’enfants scolarisés : même mépris

Les témoignages adressés par les familles à leurs élus, durant tout le combat contre l’article 49 (cf. article 21 du PDL) ont mis en lumière des parcours d’enfants épanouis qui apprenaient à leur rythme, dans le respect, mais pour certains, ce fut l’occasion de livrer des témoignages plus sombres sur leur parcours scolaire, des situations et des parcours individuels faits de souffrance, des jeunes malmenés par un système scolaire qui ne tient pas ses promesses en matière d’inclusion, de droit à l’instruction, d’égalité, et parfois même de sécurité, et reste fondé sur la coercition, la compétition, l’hétéronomie et l’autoritarisme.

L’explosion des chiffres de l’IEF si elle est due pour partie à l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, et à la crise sanitaire, traduit également la perte de confiance d’une partie de la population, notamment de la classe moyenne, qui n’a pas les moyens d’offrir à ses enfants une école privée, et qui ne veut plus voir ses enfants payer les frais de l’abandon de l’école.

Une gestion rétrograde bureaucratique et protocolaire de l’éducation contre une évolution sociétale majeure du principe de l’intérêt supérieur de l’Enfant

Le recours à l’IEF témoigne également d’une évolution croissante de notre société allant de pair avec les connaissances nouvelles en matière de développement du cerveau de l’enfant et des sciences de l’éducation. Le décrochage scolaire exprime pour beaucoup de jeunes, un rejet de méthodes pédagogiques imposées par les politiques déconnectées des réalités du terrain. Les parents y sont de plus en plus sensibles, c’est une évolution positive de la parentalité.

Plus récemment, ce sont les divers protocoles imposés aux familles, qui les ont contraintes soit à s’y résoudre soit à faire le choix de la déscolarisation.

Les familles IEF ne sont pas anti école, mais elles sont toutes résolument POUR leurs enfants, qu’il s’agisse des familles faisant l’IEF par choix de vie ou celles qui le font par défaut pour fuir un système scolaire étouffant et défaillant. L’IEF est une soupape, s’en priver témoigne c’est refuser de remettre en question les politiques du MEN et nier la réalité vécue par des familles. C’est aussi priver la France d’un vivier d’expériences pédagogiques.

L’intérêt supérieur de l’enfant, une variable d’ajustement !

Cette restriction illégitime de l’IEF et les conséquences à venir, nous sont d’autant plus intolérables qu’elles résultent de décisions et de méthodes jupitériennes, répliquées jusqu’au sein du MEN où le ministre J.-M. Blanquer et son proche ami-conseiller R. Senghor refusent tout dialogue, concertation avec les parties concernées, font de la rétention d’information (cf. rapports de la Dgesco), rappellent à l’ordre les élus de la République qui interrogeraient ces décisions au moment des votes.

Les décrets imposent l’idée que l’instruction est une affaire de professionnels ou de gens disposant des ressources suffisantes pour « exempter » leurs enfants du service scolaire national. En revanche, cela ne semble pas poser problème au gouvernement que des professeurs puissent enseigner sans diplômes en raison de la pénurie de vocations (7). Pénurie probablement elle-même alimentée par le manque de moyens alloués à l’éducation.

Pas de problème non plus pour les parents d’enfants en situation de handicap pour lesquels on n’exige pas le baccalauréat pour compenser l’absence de moyens mis au service de l’école inclusive ou des centres d’accueil spécialisés.

Pour une réelle réforme du système éducatif

Nous refusons que nos enfants soient les otages d’ambitions électoralistes basées sur une politique de la peur.

Nous demandons l’abrogation des l’articles 49, 50, 51 et 52 et la suspension des décrets !

Nous invitons le gouvernement et les candidats aux élections présidentielles à engager une réelle concertation incluant les associations des parents d’élèves et des familles IEF pour repenser la place de l’instruction en famille et de manière générale la question de l’éducation en France.

#touchepasamonief #IEFavecousansbac

Notes :

(1) n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045174568), n° 2022-183 du 15 février 2022 relatif à la commission devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d’autorisation d’instruction dans la famille (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045174607) et n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l’instance départementale chargée de la prévention de l’évitement scolaire

(https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045174618 )

(2) https://blog.lesenfantsdabord.org/decret-avis-defavorable-du-cncph/

(3) malgré une pétition (8), une action en référé mesures utiles, et même une injonction de la CADA. Il aura fallu saisir une deuxième fois la CADA pour qu’ils nous soient enfin communiqués. Ces rapports montrent que pour 2018-2019, seulement 32 enfants instruits en famille ont fait l’objet d’informations préoccupantes, soit 0,09%, sans préciser l’issue de cette IP, et ne font aucune mention de radicalisation (9).

(4) https://www.facebook.com/310368175707202/posts/4750652038345438/

(5) Association LEDA (2021). Dossier pour les parlementaires « des chercheurs et auteurs internationaux soutiennent l’instruction en famille ». Page 21 https://blog.lesenfantsdabord.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-des-chercheurs-internationaux-sur-lIEF.pdf

(6) J.-M. Blanquer était déjà en le directeur général de l’Enseignement scolaire (Dgesco) de Luc Chatel

(7) https://vocationenseignant.fr/devenir-enseignant-sans-diplome/

(8) pétition https://www.mesopinions.com/petition/enfants/ief-transparence-chiffres/124352

https://www.mesopinions.com/petition/enfants/instruction-famille-merite-transparence-exigez-rapports/148061

(9) injonction de la CADA https://association-unie.fr/notre-association-attaque-le-ministere-de-leducation-en-justice/

Faire défiler vers le haut