Paris, le 9 février 2021
Message commun aux députés
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En rupture avec l’équilibre issu des lois de Jules Ferry (instruction obligatoire), le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » retient, à l’article 21, le principe de la scolarisation obligatoire pour tous les enfants de 3 à 16 ans. Il subordonne la possibilité de faire « l’école à la maison » à une autorisation administrative préalable.
Le 18 juin 2020, devant le Sénat , le ministre de l’Éducation nationale, docteur en droit constitutionnel, a pourtant encore souligné que la liberté d’instruction en famille a « un fondement constitutionnel puissant et qu’on ne peut que reconnaître ». En 2019, lors des discussions autour de la loi « pour une école de la confiance », la majorité présidentielle s’est d’ailleurs opposée à un régime d’autorisation de l’instruction en famille. Dans ce cadre, M. Blanquer, ministre de l’Éducation nationale rendait le même avis défavorable que la rapporteure Mme Lang à un amendement proposant une telle autorisation : « La liberté de l’enseignement est un principe à valeur constitutionnelle. Instaurer une autorisation préalable irait à l’encontre du principe du choix de l’instruction. » M. Blanquer précisait : « nous avons déjà eu un débat semblable au moment de l’examen de la loi dite Gatel. Les arguments qui appuient nos propositions sont donc connus » (relire ici ).
Alors que cette restriction de liberté n’est fondée sur aucune données objectives, l’article 21 vise, selon l’étude d’impact du gouvernement, à imposer la (re)scolarisation d’environ 30 000 enfants instruits en famille. Les parents souhaitant continuer risqueraient 7 500 euros d’amende et six mois de prison en l’absence d’autorisation. L’histoire nous a pourtant appris qu’un État voulant imposer sa vision de l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris contre la volonté des parents quand ceux-ci ne sont pas défaillants, est un État totalitaire ([1]).
À l’aube d’une décision lourde de conséquences pour la liberté d’enseignement, principe de la République s’il en est, nous souhaitons vous alerter quant aux conséquences néfastes de l’article 21 alors qu’il est injustifié et inutile. Même déguisé sous forme de « déclaration renforcée », un tel système d’autorisation ferait peser sur les familles une grande insécurité liée à l’arbitraire administratif avec des risques de : stigmatisation des enfants, séparation des fratries, discriminations entre les familles, impossibilité d’organiser la vie de famille et la carrière professionnelle des parents.
Nous vous demandons de voter en faveur de la suppression de l’article 21.
Une atteinte emblématique à la liberté d’enseignement
Fin janvier, la lettre adressée par le ministère de l’Éducation nationale à une famille instruisant ses enfants a permis de lever toute ambiguïté : avec l’article 21, il s’agit bien de s’attaquer à la liberté d’enseignement. C’est le choix de l’instruction en famille qui est combattu dans son principe même alors que le Conseil d’État a encore ré-affirmé récemment (2017) que le principe de la liberté d’enseignement implique le droit pour les parents de choisir des méthodes alternatives à celles proposées par le système scolaire public, « y compris l’instruction au sein de la famille ». Rappelons que l’instruction en famille est – à côté de l’école publique – le seul système non marchand accessible aux familles. L’instruction en famille représente en outre une chance pour la France, un véritable champ d’innovations et d’expérimentations pédagogiques.
Nous dénonçons cette atteinte à la diversité éducative, aux libertés individuelles et à la responsabilité des parents vis-à-vis de l’épanouissement de leurs enfants, parfois durement malmenés par le système scolaire avant d’être instruits en famille, ou simplement heureux d’avoir la possibilité d’apprendre autrement (lire ici les témoignages de familles ).
Légiférer sur des bases rationnelles : l’article 21 est injustifié
Dans son avis, le Conseil d’État a souligné que « cette suppression [libre choix de l’instruction en famille] n’est pas appuyée par des éléments fiables et documentés […] ». La cheffe du Service central du renseignement territorial de la police a quant à elle précisé devant la Commission spéciale : « Il est extrêmement compliqué, pour moi, de faire un lien direct entre l’augmentation du repli communautaire et l’augmentation de l’instruction à domicile. »
Le 4 février dernier, lors d’une émission de radio sur Europe 1 (à 9’21’’), le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin n’a pu citer que la fermeture d’une seule structure de fait, où 50 % des effectifs – soit 15 élèves – auraient été déclarés comme étant « instruits en famille », pour justifier la présence de l’article 21 dans un projet de loi luttant contre le radicalisme islamique. Notons que, à l’évidence, la réglementation existante suffit puisque cette structure a pu être repérée et fermée ! Dans le cadre des contrôles existants, le fait que certains enfants aient été déclarés comme étant instruits en famille a d’ailleurs certainement aidé à repérer l’existence de cette structure.
Faut-il rappeler que l’islamisme radical cible et recrute en priorité dans les lieux collectifs, principalement aux abords des lycées, en repérant des jeunes dans une dynamique de dérégulation sociale (échec scolaire, perte de sens, rupture des liens notamment avec la famille), et en prison ? L’instruction en famille concerne seulement 0,5 % des enfants en âge d’instruction obligatoire et l’Éducation nationale précise que : « Les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels » (vade-mecum instruction dans la famille, novembre 2020 ).
Il n’est pas donc pas étonnant que l’« étude d’impact » fournie par le gouvernement soit si lacunaire, ainsi que l’a encore souligné la défenseure des droits devant la Commission spéciale. Elle a aussi rappelé : « La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance vise déjà à clarifier et resserrer l’encadrement des contrôles pédagogiques de l’instruction dans la famille. Il apparaît donc plus opportun de commencer par faire le bilan du renforcement des modalités de contrôle instruit par cette loi ».
Nous appelons les parlementaires à jouer pleinement leur rôle de garde-fou démocratique et à avoir le courage de la cohérence. Exiger une étude d’impact digne de ce nom s’impose avant de restreindre les libertés fondamentales des familles.
Légiférer sur des bases rationnelles (suite) : les familles ne sont ni séparatistes ni défaillantes
À l’opposé des données de la science, qui révèlent que les motivations des familles sont très diverses et que les enfants sont socialisés (par exemple, 94 % des enfants pratiquent des activités avec des enfants scolarisés de leur âge – lire ici les réponses aux questions fréquentes ), le ministre de l’Éducation nationale accuse les familles instruisant leurs enfants de « séparatisme social ».
Vous qui avez reçu les nombreux messages des familles instruisant leurs enfants, qui les avez rencontrées et avez pris le temps de découvrir leur réalité, vous savez qu’elles participent à la vie de la cité. La grande majorité des familles et les enfants sont parfaitement intégrés à la société. Les inspecteurs confirment qu’ils savent repérer les éventuelles situations préoccupantes (lire ici – page 3 ).
Parmi les familles faisant le choix de ce mode d’instruction, tous les profils socio-économiques sont représentés, permettant une réelle mixité sociale lors des rencontres régulières (ateliers au musée, activités artistiques ou sportives). Les familles sont non seulement de confessions et milieux différents, mais les nombreux enfants handicapés ou avec des particularités (haut potentiel, autisme, dys) trouvent aussi davantage leur place au sein d’un groupe d’enfants d’âges mélangés et en l’absence de climat de compétition lié aux performances scolaires.
Quant aux inquiétudes de Madame Brugnera sur le fait que 45 000 enfants ne soient pas inscrits aux cours à distance d’État (CNED), ce n’est pas par défiance vis-à-vis du programme officiel de l’Éducation nationale – les familles sont d’ailleurs tenues de respecter le socle commun de compétences, de connaissances et de culture établi par l’Éducation nationale – mais plutôt parce que :
– 85 % des enfants instruits en famille le sont au niveau maternelle (33 %) et primaire (52 %). Les parents peuvent préférer des approches plus ludiques, partant des centres d’intérêts des enfants pour ancrer les apprentissages, ou choisir d’autres ressources ou cours par correspondance plus interactifs ;
– les cours du CNED sont onéreux pour les familles dont l’accès n’est pas pris en charge par l’État (c’est-à-dire hors motifs de handicap, éloignement géographique, pratique sportive ou artistique de haut niveau reconnue par le ministère de l’Éducation nationale).
Enfin, il convient de rappeler que les contrôles de l’Éducation nationale attestent du respect du droit à l’instruction des enfants instruits en famille dans 98 % des cas. Les enfants instruits en famille choisissant de rejoindre le système scolaire ont des résultats scolaires largement au niveau de celui des élèves scolarisés.
Nous appelons les parlementaires à ne pas être dupes des amalgames, mensonges et procès d’intention faits à nos familles et à rechercher l’éclairage des chercheurs et spécialistes du sujet, par exemple en :
– visionnant notre conférence en ligne « Pourquoi et comment sauver l’instruction en famille ? » (moins de 40 minutes au total ; 16 interventions flash de spécialistes du sujet et personnalités) :
– parcourant le dossier documentaire « L’instruction en famille, un des piliers de la liberté d’enseignement » élaboré par les associations nationales (24 pages) ;
– consultant les travaux des chercheurs et auteurs internationaux sur l’instruction en famille , notamment en ce qui concerne les conséquences d’une remise en cause du libre choix de cette possibilité.
Une autorisation sur la base de motifs restrictifs – y compris déguisée sous forme de « déclaration renforcée » – n’est pas la solution
Il ne faut pas s’y tromper : la mise en place d’un système d’autorisation administrative vise bien à imposer une scolarisation à des milliers d’enfants actuellement instruits en famille par choix. Le ministre de l’Éducation nationale ne s’en cache pas : « L’instruction à domicile doit être tout à fait exceptionnelle […] : c’est pourquoi nous mettrons en place un régime d’autorisation de scolarisation à domicile, et non plus une simple déclaration. » (France Info, le 9 décembre 2020 ).
Les amendements adoptés en Commission spéciale ne suffisent pas à rassurer, voire créent encore plus d’insécurité juridique pour les familles :
- le critère à double contrainte reste restrictif : « 4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans l’intérêt supérieur de l’enfant » ;
- s’y sont ajoutées des contraintes supplémentaires : « une présentation écrite du projet éducatif ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.» et une éventuelle convocation des parents « à un entretien afin d’apprécier la situation de l’enfant et de sa famille et de vérifier leur capacité à assurer l’instruction en famille. »
Autrement dit, en plus des risques de stigmatisation des enfants et de séparation des fratries (si un enfant est autorisé à être instruit en famille et les autres non), l’Éducation nationale deviendrait inspecteur des choix éducatifs des parents, ouvrant encore plus largement la porte aux discriminations envers certaines familles.
Même, dans le cas d’une décision favorable, surtout si elle est implicite, les familles demeureront toujours confrontées à une insécurité juridique particulièrement lourde. En effet, l’administration peut encore retirer une décision implicite qu’elle considère comme illégale dans un délai de 4 mois. Et même après, par exemple si l’administration estime que la condition qui avait permis la délivrance de l’autorisation n’est plus remplie à l’occasion d’une inspection, l’autorisation délivrée pourrait être retirée, avec mise en demeure de scolarisation de l’enfant dans les quinze jours. Au total, en plus d’être une « usine à gaz », ce système d’autorisation représentera un véritable parcours du combattant pour les familles (lire l’article de Me Hubert Veauvy ).
Nous sommes inquiets aussi de certaines propositions d’amendements déguisant l’autorisation en « déclaration renforcée » tout en prévoyant par exemple :
- « L’autorité compétente de l’État en matière d’éducation, le représentant de l’État dans le département et le procureur de la République peuvent former opposition à la déclaration d’instruction dans la famille» ;
- un contrôle entre 3 et 6 mois après la « déclaration» qui autoriserait ou pas à continuer.
Ces propositions ne s’attaquent pas au problème de l’arbitraire administratif auquel les familles seront obligatoirement soumises avec un régime d’autorisation. Le contrôle aura beau se passer le mieux du monde, si l’inspecteur estime que les enfants ne rentrent pas dans les motifs autorisés, une injonction de scolarisation pourra être prononcée. Comment construire un projet pédagogique ou une organisation familiale sereine dans ces conditions ? Qu’en sera-t-il de la continuité pédagogique pour les enfants ?
Gare aux informations préoccupantes (IP) abusives (amendement n° 2626)
Un amendement des rapporteurs Madame Brugnera et Monsieur Boudié (amendement n° 2626) propose qu’en cas d’information préoccupante (IP), l’autorisation d’instruire en famille puisse être retirée sur simple décision de l’inspection académique ([2]).
Nous comprenons l’objectif de protection de l’enfance recherché. Cependant, nous souhaitons vous alerter sur le fait que l’expérience de nos associations montre que les parents souhaitant instruire leurs enfants en famille sont victimes de nombreuses IP abusives sur simple dénonciation calomnieuse de voisins ou membres de la famille ne comprenant pas ce choix, mais aussi par « représailles » de l’administration scolaire. Par exemple, des familles souhaitant retirer leurs enfants en souffrance de l’école font régulièrement l’objet d’IP suite à une intervention de la direction des établissements scolaires s’opposant à ce choix auprès des services sociaux départementaux. Certaines inspections académiques se servent aussi parfois de cette possibilité comme d’une menace auprès des familles quand ces dernières veulent faire respecter leurs droits lors des contrôles.
Si cet amendement était adopté, qu’en serait-il de la présomption d’innocence face à une administration devenant juge et partie ? L’intervention d’un juge est indispensable. Nous vous appelons à rejeter cet amendement n°2626.
En conclusion : la suppression de l’article 21 s’impose
Dans un état de droit, la liberté doit rester la règle et la restriction, l’exception. Retirer aux parents la possibilité de librement choisir l’instruction en famille constituerait une grave atteinte à une liberté publique.
Cette atteinte infondée et particulièrement injuste générerait beaucoup de souffrances et une perte de chance pour notre pays.
Au delà de leur appartenance à tel ou tel groupe politique, nous comptons sur les parlementaires, qui font la loi, pour unir leurs efforts afin de sauvegarder le libre choix de l’instruction en famille en votant en faveur de la suppression de l’article 21.
[1]– Une réelle diversité éducative est un garde-fou démocratique inestimable. Pour mémoire, en Allemagne, c’est en 1938 que la loi a rendu la fréquentation d’un établissement scolaire obligatoire – à partir de 6 ans et pas dès 3 ans – sous peine d’emprisonnement des parents. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Déclaration universelle des droits de l’Homme, élaborée en réaction aux atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale dès 1948, précise : « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » https://eclj.org/family/french-institutions/rapport–liberte-educative-et-droits-de-lhomme?lng=fr
[2]– Amendement n°2626 présenté par Mme Brugnera et M. Boudié : « Lorsqu’un enfant recevant l’instruction dans la famille ou l’un des enfants du même foyer fait l’objet de l’information préoccupante prévue par l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, le président du conseil départemental en informe l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, qui peut alors suspendre ou abroger l’autorisation qui a été délivrée aux personnes responsables de l’enfant. »
L’association LED’A (Les enfants d’abord) – blog.lesenfantsdabord.org – Contact : libertedelinstructionlesenfantsdabordorg / 0689987526 ou 0670100140 ou 0608950100
L’association LAIA (Libres d’Apprendre et d’Instruire Autrement) – laia-asso.fr – Contact : contactlaia-assofr" target="_blank" rel="nofollow noreferrer">contactlaia-assofr / 06 99 33 89 96 ou 06 71 93 87 72 ou 06 95 95 55 26
L’association UNIE (Union Nationale pour l’Instruction et l’Epanouissement) – association-unie.fr – Contact : Armelle – unie.associationgmailcom" target="_blank" rel="nofollow noreferrer">unie.associationgmailcom / 07 68 47 76 40
La Fédération FELICIA – contactfederation-feliciaorg / 06 19 10 37 88
Le collectif l’Ecole est la Maison (EELM) – www.lecoleestlamaison.blogspot.com – Contact : Laurence Fournier – lecoleestlamaisongmailcom" target="_blank" rel="nofollow noreferrer">lecoleestlamaisongmailcom / 06 62 92 84 70.
L’association Liberté éducation – www.liberteeducation.com – Contact : jbmaillardliberteeducationcom.
L’association CISE (Choisir d’instruire son enfant) – www.cise.fr – Contact : therese.pour.cisegmailcom" target="_blank" rel="nofollow noreferrer">therese.pour.cisegmailcom / 06 84 94 66 28
Enfance Libre – www.enfance-libre.fr ; mouvement.enfance.libregmailcom" target="_blank" rel="nofollow noreferrer">mouvement.enfance.libregmailcom