Action urgente contre un projet de décret de la ministre de l’Éducation contrevenant à la liberté de l’enseignement

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Nous savons que le compte-rendu du rendez-vous au ministère révolte de nombreuses personnes concernées ou pas par l’instruction en famille.

Parmi les futures modifications annoncées, le décret instaurant la nécessité d’une progression continue dans tous les domaines du socle et de se référer aux attendus de fin de cycles pour la vérification de l’enseignement, introduirait dans le Code de l’éducation la soumission des enfants à des exercices écrits ou oraux lors de la vérification de l’enseignement. Il pourrait être soumis pour avis au Conseil supérieur des programmes mercredi 1er juin 2016. Il pourrait donc être publié dès le 8 juin de cette année.

Pour faire part de notre position et tenter d’amener la ministre à revoir ce décret, nous vous proposons de vous inspirer du courrier suivant et de l’adresser à la ministre. Plus le nombre de courriers envoyés par voie postale sera important, plus nous avons une possibilité d’être entendus. Chaque personne peut écrire, chaque avis compte. Plusieurs courriers peuvent être postés par les membres d’une même famille. Vous pouvez aussi proposer à vos amis d’écrire également. Il n’y a aucun risque à écrire au ministère pour lui faire part de votre avis. Cela vous prendra un peu de temps, vous coûtera le timbre, mais nous pouvons ainsi montrer que nous sommes totalement indignés de voir que les libertés individuelles des enfants et des parents sont encore rognées. Vous n’avez pas d’imprimante, profitez-en pour solliciter vos amis ou utilisez le service en ligne de la poste qui imprime et envoie les courriers (service payant).

Voici un exemple de courrier réalisé à partir de celui que l’association LED’A envoie au ministère. Il est axé sur la déclaration de philosophie, c’est ce qui nous rassemble tous à LED’A, n’hésitez pas à retirer des parties pour l’individualiser et qu’il vous ressemble.

Nom et Prénom
Adresse
le 31 mai 2016

Madame la Ministre de l’Éducation nationale
110, rue de Grenelle
75357 Paris SP 07

Objet : Projet de décret modifiant les conditions de vérification de l’instruction en famille

Madame la Ministre de l’Éducation nationale,

Nous savons que les autres acteurs de l’instruction en famille, LAIA, LEDA, CIEF, CISE et UNIE ont été reçus lors d’une consultation relative à ce mode d’instruction au ministère de l’Éducation nationale le 26 mai 2016 par votre directeur de cabinet adjoint, monsieur Noblecourt. À cette réunion étaient également présents madame Moreau, directrice des affaires juridiques, LIJ, madame Pétreault, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, Direction des affaires financières, Sousdirection de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives, madame Capette de la DGESCO, madame Bizalion et monsieur Lewin, Direction des affaires financières et pour l’enseignement privé.

Nous avons été informés de la volonté du ministère de voir évoluer le cadre de l’instruction en famille et nous savons que vous devez prochainement arbitrer ces décisions. Monsieur Noblecourt les a avertis d’évolutions législatives et réglementaires, ainsi que de la rédaction d’une nouvelle circulaire.

Nous sommes indignés par la réalité du projet réglementaire qui précise la nécessité d’une progression continue dans tous les domaines du socle et celle de se référer aux attendus de fin de cycles pour la vérification de l’enseignement, et qui introduirait dans le Code de l’éducation la soumission des enfants à des exercices écrits ou oraux lors de la vérification de l’enseignement. Nous nous reconnaissons dans la position de l’association LED’A qui revendique depuis sa création en 1988 le respect de l’individualité des enfants. Dans sa déclaration de philosophie, « l’association encourage le respect du rythme de l’enfant, de ses centres d’intérêt et des aptitudes propres à chaque enfant. Elle incite à préserver la curiosité naturelle de l’enfant en lui permettant des apprentissages librement choisis. L’association LED’A organise des rencontres et des échanges avec des personnes de tous âges et de tous horizons, dans leur milieu de vie et promeut l’entraide et la coopération. Nous pensons qu’il est important de permettre à l’enfant d’être acteur de sa vie, de s’ouvrir sur le monde et d’y trouver sa place.Cette démarche repose sur la confiance en l’enfant, ainsi que sur la conscience de la richesse des échanges entre adultes et enfants et des remises en question qu’ils peuvent amener. »

Cette déclaration de philosophie correspond à des choix éducatifs respectueux des enfants et le projet de décret est en totale contradiction avec nos choix philosophiques et éducatifs, qui sont motivés par l’intérêt de nos enfants. Nombreuses sont les personnes qui témoignent depuis plusieurs années de la grande diversité de choix pédagogiques possibles, y compris celui basé sur la capacité des enfants à prendre en main leurs apprentissages. Le fonctionnement de l’école n’est pas transposable à l’instruction en famille. De nombreux attendus de fin de cycles en français, mathématiques et en éducation sportive et physique sont incompatibles avec les apprentissages dits « autonomes » que nous évoquons auprès de la DGESCO depuis de nombreuses années et qui constituent la méthode pédagogique qui pose le plus question aux personnels chargés des contrôles. Les témoignages, les récits et les études sur l’âge à partir duquel les enfants libres d’apprendre deviennent lecteurs montrent un décalage avec les enfants scolarisés sans que cela n’impacte leurs capacités finales en lecture ni n’entrave leurs réussites.

Les découvertes scientifiques, techniques, historiques, les outils d’apprentissages linguistiques, les supports multilingues… sont accessibles au grand public et les parents qui font le choix de l’instruction en famille peuvent en tenir compte. Les parents témoignent d’ailleurs souvent à quel point les apprentissages sont rapides lorsque l’enfant en est le moteur, lorsque l’attention va de soi, que le « retour d’information » est bienveillant. De nombreuses pédagogies sont autocorrectives pour permettre à l’enfant de s’émanciper d’un regard omniprésent de l’adulte, et ainsi contribuer à la construction d’une bonne estime de soi. Laisser l’enfant libre d’apprendre ne correspond pas au modèle d’apprentissage que nous avons (presque) tous connu, à la norme scolaire que nous avons intégrée, pourtant cette approche est très efficiente. De plus, les études scientifiques attestent de la plasticité cérébrale qui permet l’apprentissage à tout moment, ce qui bouleverse les théories du « tout doit être acquis avant… 6, 8, 10, 12 ans… » : « Car c’est précisément ce qui nous permet d’apprendre. Cette plasticité, on doit la comprendre comme une remarquable capacité à recycler des circuits présents dès l’origine. Elle est, et c’est un point très important, mobilisable tout au long de la vie. » (1) Pas d’inquiétude donc si un enfant ne sait pas encore lire à 8 ans ou s’il n’écrit pas parce qu’il ne s’y intéresse pas encore. La grande diversité des supports actuels d’information oraux, écrits, vidéos, logiciels, etc., implique qu’une grande variation dans l’ordre et le contenu des acquisitions des enfants ne saurait être un frein ni à leur développement ni à leur instruction. Une étude « How Learning to Read Changes the Cortical Networks for Vision and Language » (2) a été réalisée dans plusieurs pays et a mis en évidence que le cerveau des adultes non lecteurs d’une cinquantaine d’années est suffisamment plastique pour s’adapter à la tâche de l’apprentissage de la lecture.

Le Dr Alan Thomas, psychologue et chercheur à l’Université de Londres, Institute of Education, a publié les résultats de son étude sur la lecture dans le livre Educating Children at Home, ed.Cassell, Londres, 1998. Au cours de sa recherche, il a constaté que beaucoup d’enfants éduqués à la maison ont commencé à lire tard. Voici un extrait de ses observations à ce sujet : « Un résultat complètement inattendu [de l’étude] a été le nombre d’enfants qui commençaient à lire « tardivement », même vers 10 ou 11 ans. Il est encore plus étonnant de constater que le fait de lire tard n’avait, autant qu’il est possible de le vérifier, aucun effet négatif sur le développement intellectuel, l’équilibre, ou l’acquisition ultérieure d’une lecture efficace. En général, ces lecteurs « tardifs » rattrapaient très vite et dépassaient le niveau de lecture correspondant à leur âge et, comme les autres enfants éduqués à la maison, aimaient lire. »

À propos de l’écriture manuscrite, Alan Thomas, dans son ouvrage « À l’école de la vie » développe la forte attente envers les enfants scolarisés vis-à-vis de l’écriture. « […] l’écriture est en fait une nécessité impérieuse, parce que la suite du programme scolaire s’appuie fortement sur la capacité à écrire et que les travaux écrits construisent la principale preuve de la réalité des apprentissages effectués.[…] De façon ironique on n’accorde guère de temps au traitement de texte ou au SMS alors que ces usages de l’écrit dépasseront de beaucoup celui de l’écriture manuscrite dans la vie adulte. » L’instruction en famille n’a pas les mêmes contraintes que le cadre scolaire, la grande majorité des échanges sont oraux et ne nécessitent pas une maîtrise de l’écrit manuscrit dès six ans. Nous vivons au quotidien avec nos enfants qui sont enthousiastes et qui partagent volontiers leurs découvertes. L’intérêt de ces conversations en famille a été étudié par Tizard et Huges en 1984. « Grâce à leurs demandes d’informations, faites de leur propre initiative, les enfants développent leur propre fil de pensée logique, se servant de leurs parents comme ressource pour combler certaines des lacunes, qu’ils ont eux-mêmes, dans leur connaissance. Ils se construisent ainsi au sens littéral, leur propre étayage. » (3)

Les neurosciences ont considérablement enrichi les sciences de l’éducation. Il nous semble indispensable de permettre aux enfants de développer leur motivation intrinsèque, base, entre autres, de l’autonomie évoquée par l’un des piliers du socle commun. Les attendus de fin de cycles contraindraient les enfants à apprendre pour avoir une « bonne évaluation » lors de la vérification de l’enseignement, ce type de « bachotage » étant en opposition totale avec notre démarche. Fabrizio Butera explique que « Si on étudie pour avoir de bonnes notes, ou pour en éviter de mauvaises, on ne s’engage pas dans le processus d’apprentissage pour intérêt ou par plaisir, ce que les chercheurs ont appelé la motivation intrinsèque. Dans ce cas, les élèves préféreront les stratégies d’études qui leur apportent des bonnes notes, indépendamment du fait qu’elles permettent d’apprendre. Un exemple typique est le « bourrage de crâne » le soir avant le test. Même les élèves les plus jeunes savent qu’ils n’apprendront rien et que dans une semaine ils ne se souviendront de rien. Mais ils savent aussi que c’est une méthode d’étude qui permet de réussir le test. » (4) Nous souhaitons laisser le temps à nos enfants pour qu’ils apprennent à se connaître, à s’autodéterminer et s’émanciper. L’expérience de nombreux enfants aujourd’hui adultes montre qu’ils s’engagent alors dans les apprentissages, dans la vie professionnelle et dans la vie sociale avec détermination et volonté. Les attendus de fin de cycles correspondent à des compétences formelles et sont bien éloignés des ambitions du socle qui devrait permettre aux enfants « de s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de réussir la suite de leur parcours de formation, de s’insérer dans la société où ils vivront et de participer, comme citoyens, à son évolution ».

La liberté d’enseignement, c’est la liberté pour une enfant de huit ans passionnée de violoncelle, vivant à soixante kilomètres de la classe à horaires aménagés musique la plus proche, de vivre sa passion tout en habitant chez ses parents, pour un enfant de sept ans passionné de plomberie de regarder une multitude de vidéos sur le sujet et de faire des montages avant d’apprendre à lire et à écrire, pour un enfant dysgraphique de treize ans de suivre un enseignement adapté car ses parents sont à son écoute. C’est la possibilité pour un enfant passionné de gemmologie, d’ornithologie, de peinture, de vivre sa passion, de connaître le Louvre par coeur avant de savoir écrire, de savoir monter une construction avant de savoir poser une addition à deux ou trois chiffres, d’être bilingue avant d’aborder l’histoire du Moyen-Âge ou de l’Égypte, de maîtriser les calculs de monnaie sans aborder les décimales, ou encore de développer des qualités humaines concrètes avant d’aborder la théorie de la communication et de la tolérance, etc.

Aucun motif légitime ne permet au gouvernement de restreindre nos libertés et celles de nos enfants. Nos convictions philosophiques, protégées par la liberté de conscience, se traduisent par nos choix éducatifs. Le projet actuel de décret supprime notre liberté d’enseignement et prive nos enfants de leur autonomie.

L’intention annoncée lors du rendez-vous serait de réduire l’arbitraire, pourtant c’est tout le contraire qui s’annonce. Les relations des parents avec les services de l’Éducation nationale dans le cadre de l’instruction en famille sont déjà inégalitaires. Une enquête de 2010 réalisée avec les autres associations nationales montrait 90% de familles insatisfaites des contrôles. Nous ne nions pas que la vérification de l’enseignement puisse être complexe à appréhender pour les personnes qui en sont chargées. Nous demandons à ce que la vérification de l’instruction soit individualisée à chaque enfant, qu’elle tienne compte des choix philosophiques et éducatifs des parents au regard du droit à l’instruction des enfants et des différents domaines de compétences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Pour permettre des vérifications respectueuses, il nous semble indispensable que les personnes qui les effectuent soient correctement informées des règles de celles-ci – certaines méconnaissant jusqu’à l’existence de la circulaire à ce sujet –, mais aussi formées aux diverses pédagogies et choix éducatifs des familles. On ne saurait réduire l’arbitraire en imposant à tous la même réglementation inique.

Nous vous demandons donc, madame la Ministre, de ne pas signer ce décret en l’état.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre de l’Éducation nationale, l’expression de nos salutations démocratiques.

Signature
1 Stanislas Dehaene, Professeur au Collège de France, chaire de psychologie cognitive expérimentale, November 7th, 2013

2 « How Learning to Read Changes the Cortical Networks for Vision and Language », Stanislas Dehaene, Felipe Pegado, Lucia W. Braga, Paulo Ventura, Gilberto Nunes Filho, Antoinette Jobert, Ghislaine Dehaene-Lambertz, Régine Kolinsky, José Morais, Laurent Cohen, décembre 2010

3 AlanThomas et Harriet Pattison, op.cit, page 39

4 L’évaluation : Une menace ? par François Jarraud. F.Butera, C Buchs, C Darnon, L’évaluation une menace ?, Puf, 2011, 188 p.

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