L’instruction en famille, une liberté qui dérange ?

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Strasbourg, le 20 juin 2016.

Sous couvert de son projet de loi « Égalité et Citoyenneté », et dans un contexte plus général de restriction des libertés, le gouvernement s’attaque désormais à l’instruction en famille. La liberté d’enseignement est pourtant reconnue par la Constitution. Décryptage des enjeux et de ce qu’est vraiment l’instruction en famille aujourd’hui.

J'veux pas aller à l'école ou être contrôlé par des zincompétents !Le ministère de l’Éducation nationale a déposé un amendement au Code de l’Éducation qui a été adopté dans la nuit du mardi 14 juin au mercredi 15 juin par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et Citoyenneté ». Cet amendement donne les pleins pouvoirs à l’Éducation nationale pour choisir le lieu du contrôle et ses modalités. Une remise en cause profonde du principe même de l’instruction en famille comme l’explique Sylvain Angerand, père de deux enfants non-scolarisés : « La ficelle utilisée est grossière : en prétendant que les familles refusent d’ouvrir leur porte, le ministère joue sur les peurs de radicalisation, la suspicion et déforme la réalité (1). Nous n’avons rien à cacher. Notre porte est grande ouverte pour montrer nos pratiques pédagogiques et la joie de vivre de nos enfants ».

Car ce qui est en jeu, et qui dérange vraiment l’Éducation nationale, c’est de devoir respecter nos enfants, leurs rythmes et leurs choix. Les travaux scientifiques en neurosciences et en sciences de l’éducation montrent bien que la progression d’un enfant ne se fait pas nécessairement de façon continue mais plutôt par éclosions en fonction de ses intérêts. En quelques mois, un enfant de 8 ans qui se passionne pour la préhistoire, les papillons ou le théâtre peut assimiler des connaissances de façon stupéfiante car comme l’explique le Professeur Gerald Hüther (Université de Göttingen, Allemagne (2)) « le cerveau se développe précisément là où il est utilisé avec enthousiasme ».

Avec cet amendement, les inspecteurs de l’Éducation nationale auront la possibilité d’imposer des contrôles en dehors du domicile dans un lieu inconnu et de soumettre les enfants à des tests standardisés n’ayant rien à voir avec la pédagogie qu’ils connaissent (3). Le confort des inspecteurs passera en priorité, avant le bien-être des enfants. « Les familles seraient désormais soumises à l’arbitraire des inspecteurs. Bien sûr, avec des personnes bienveillantes et respectueuses de nos choix pédagogiques, le contrôle se passera bien, mais nous observons, depuis plusieurs années, un nombre croissant de conflits avec des inspecteurs qui outrepassent la loi. Si cet amendement est voté, les conflits administratifs entre les familles et les services académiques vont se multiplier, ainsi que le nombre d’injonctions de scolarisation ; alors que le ministère craint justement une judiciarisation des contrôles » explique Gwenaële Spenlé, du service juridique de l’association Les Enfants D’Abord. Une rigidité exacerbée par le décret préparé lui aussi par le Ministère de l’Éducation (4) et en attente de signature.

Selon une enquête du Ministère, le nombre d’enfants instruits à domicile a augmenté de 30 % depuis 2010. C’est le principal argument invoqué lors du débat en commission spéciale, pour justifier cet amendement. Mais en quoi cette augmentation serait un problème dans un pays qui reconnaît le droit des parents à instruire eux-mêmes leurs enfants ? C’est évidemment plus facile de pointer du doigt les 0,09 % d’enfants instruits en famille (5), qui sont heureux et ne coûtent presque rien à l’État, que de s’attaquer aux véritables défaillances de l’école publique. La rigidité du cadre de l’Éducation nationale s’accommode mal de l’enthousiasme de nos enfants et de la liberté pédagogique que nous revendiquons pour eux.

Face à cette tentative de passage en force du gouvernement, nous appelons les parlementaires à rejeter l’article 14bis de la loi « Égalité et Citoyenneté » lors de son passage à l’Assemblée nationale à partir du 27 juin et nous demandons au gouvernement de renoncer à la publication du décret. Nous refusons de voir notre liberté pédagogique et de conscience, et le libre arbitre de nos enfants, remis en cause par le Ministère de l’Éducation nationale. Une liberté reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ! (6)

Association « Les Enfants D’Abord »
contact médias : 06 08 95 01 00 media(arobase)lesenfantsdabord.org
contact politiques : libertedelinstruction(arobase)lesenfantsdabord.org

Document annexe : Texte commun signé par les associations LED’A, CISE, LAIA et le Collect’ief regroupés au sein du Collectif pour la liberté d’instruction (CPLI) www.cpli.eu
Instruction en famille – Informations complémentaires – Amendement N°852 présenté à la Commission Spéciale le 14 et 15 juin 2016

Notes de bas de page

(1) Extraits des débats en commission spéciale http://videos.assemblee-nationale.fr/video.4048276_5760551708e45.egalite-et-citoyennete–suite-de-l-examen-des-articles-14-juin-2016 (3h19)
Patrick Kanner, Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.
« oui, il s’agit quand même d’avoir une norme la plus globalisante possible dans l’intérêt des enfants, premièrement. Deuxièmement, l’objectif de l’amendement 852 porté par l’Éducation nationale, c’est aussi de pouvoir rentrer dans de bonnes conditions au domicile, dans le domicile des familles pour vérifier, vous l’avez évoqué vous-même, quel est l’environnement éducatif qui existe autour de l’enfant dans une vision de protection de l’enfant, c’est une démarche très volontariste que nous engageons là pour éviter des débordements, je vous rappelle quand même que 30 % d’augmentation du nombre d’enfants qui ne sont pas scolarisés en milieu scolaire habituel, c’est un signe qui peut quand même nous interpeller aujourd’hui, vous voyez à quoi je peux faire allusion. »
M. Razzy Hammadi, Rapporteur général :
« Nous avons été interpellé notamment par monsieur Breton sur la qualité de notre travail et l’exigence vis-à-vis des amendements provenant du gouvernement. Oui nous avons rencontré le cabinet de la ministre de l’Éducation et oui, cette rencontre figure et figurera dans le cadre de notre rapport, dans le cadre de ces rencontres, ben il y a un rapport, on a auditionné et on va auditionner, s’il vous plait, je ne vous ai pas interrompu monsieur Breton, on a auditionné, et on va, en tout, plus de 200 structures et personnes, et à chaque fois, ça s’est fait, vous avez déjà fait ce travail , ça se fait dans le cadre de la commission, ça se fait dans le cadre des rencontres et dans le cadre des tables rondes, ce n’est pas un travail caché, je souscris à ce qui vient d’être dit par monsieur le ministre, c’est que les cas qui nous ont été présentés, certes ce sont des cas infimes, mais ce sont des cas qui font que l’unanimité ici de la commission font qu’on appelle la puissance publique, qu’on appelle la puissance publique à avoir les moyens d’agir, ce sont des éducations qui sont soupçonnées comme tout sauf de l’éducation, et on refuse le contrôle, on refuse d’ouvrir la porte, ce sont des fois à la limite d’une enfance en danger, on ne parle pas là et je vous demande, je veux bien que sur d’autres sujets on puisse en débattre mais là on n’est pas sur la liberté d’enseigner ou ce genre de chose, ça n’a rien à voir. »
(2) Directeur du département de recherche fondamentale de neurobiologie du CHU psychiatrique de l’université de Göttingen et du centre de recherche préventive de neurobiologie de l’université de Göttingen et Mannheim/Heidelberg, Allemagne.
(3) Modalités précisées dans un décret du ministère : le décret introduirait la notion d’acquisition des connaissances et compétences progressive et continue dans chaque domaine de formation du socle commun de connaissances. Le contrôle serait fait au regard des objectifs de formation attendus à la fin de chaque cycle d’enseignement. Le décret prévoirait la soumission des enfants à des exercices écrits ou oraux systématiques.
(4) « Décret relatif au contrôle du contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille » dont il est question en note (3).
(5) Chiffres de 2014-2015, soit 7314 sur 8,1 millions d’enfants relevant de l’instruction obligatoire.
(6) « Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » – Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948, Article 26-3. « Le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, (est) respect(é) selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. » – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2002, Article 14-3. « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » – Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1952, article 2, protocole n°1

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