Ci-dessous les réponses complémentaires aux questions des députés suite à la table ronde du 8/1/21 avec les rapporteurs de la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Ont participé à la table ronde :
- les associations : LED’A , LAIA, CISE, UNIE et Liberté éducation
- les collectifs : FELICIA, EELM et Maintien-ief
- Ce document vise à répondre à chacune des questions posées lors de la commission spéciale du 8 janvier 2021. La liste des références bibliographiques est présentée en fin de document.
- En complément, lire aussi notre document de 6 pages : « Mieux connaître l’instruction en famille : 14 questions-réponses pour découvrir une pratique innovante » https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-IEF-14QR.pdf
1- Serait-il souhaitable de préciser les conditions d’obtention de l’autorisation ?
L’IEF peut être utilisée comme une pause nécessaire pour de nombreux enfants, elle doit rester facile et rapide d’accès via un mode déclaratif.
Comme l’indique M. Bongrand dans son travail de recherche sociologique (Bongrand P, Glasman D, Instruction(s) en famille. Explorations sociologiques d’un phénomène émergent, Revue fr. de pédagogie 2018/4, n°205 https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2018-4-page-5.htm , la diversité des familles instruisant leurs enfants est très large.
Il serait impossible d’identifier tous les cas et de les répertorier, certains cas seraient forcément oubliés. La motivation et l’implication familiale sont les réels facteurs de la réussite de l’IEF.
Un système d’autorisation semblable à celui du CNED réglementé actuel (CNED « gratuit » fourni à certaines familles sous conditions) soumettrait l’instruction en famille à l’arbitraire administratif. Notre expérience révèle que de nombreuses familles se voient actuellement refuser l’accès au CNED réglementé dans certains départements alors que des dossiers similaires sont considérés comme répondant aux exigences d’obtention dans d’autres académies.
Le dossier nécessaire pour obtenir une autorisation de l’administration peut prendre entre 6 et 9 mois à réaliser sans aucune garantie de succès.
Détecter une « particularité » chez un enfant en difficulté dans le cadre scolaire peut prendre plusieurs années et représenter un budget important. Qu’en serait-il de ces cas-à ? Auraient-ils droit à l’IEF avant que la particularité soit reconnue et validée par l’administration ?
De plus, certains parents ne souhaitent pas définir leurs enfants par leurs « particularités » et choisissent justement de ne pas les faire diagnostiquer (hauts potentiels, dys, par exemple), préférant mettre en place les moyens nécessaires à leurs apprentissages en les instruisant en famille.
Enfin, le risque de stigmatisation des enfants est réel : des informations sensibles concernant la personnalité et la santé de ces enfants, inscrites dans leur dossier, pourraient les suivre pendant tout leur parcours, les empêchant d’accéder à certaines études ou professions.
Ci-dessous l’avis de Bernard Toulemonde, inspecteur général honoraire :
« Il est certain que l’instruction dans la famille est un droit fondamental : à l’occasion de litiges, le Conseil d’État l’a considéré en 2017 comme un corollaire de la liberté de l’enseignement, qui donne « le droit pour les parents de choisir pour leurs enfants des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système public, y compris l’instruction au sein de la famille ». Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), s’il est prévu dans un État (ce qui n’est pas le cas de tous en Europe), il s’agit aussi d’un droit fondamental, adossé au droit d’éducation des parents et au respect de leurs convictions philosophiques ou religieuses […]. [Avec la proposition du gouvernement de soumettre l’instruction en famille à un régime d’autorisation, ndlr], on abandonnerait donc le régime déclaratif en vigueur : la famille procède à une déclaration annuelle, l’administration exerce un contrôle a posteriori. Ce régime libéral est une tradition française pour toutes les grandes libertés (associations, manifestations, enseignements…) […] Ne vaut-il pas mieux endiguer les quelques dérives que d’enterrer une liberté ? » https://www.lemonde.fr/education/article/2020/12/15/instruction-en-famille-ne-vaut-il-pas-mieux-endiguer-les-quelques-derives-que-d-enterrer-une-liberte_6063418_1473685.html
2- Serait-il pertinent d’évaluer la capacité des parents à instruire leurs enfants ?
L’objet du contrôle pédagogique, mené annuellement par l‘inspection académique pour chaque enfant IEF, est de vérifier le respect du droit de l’enfant à l’instruction et évalue l’acquisition progressive du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, tel qu’il est défini par l’Éducation nationale.
93 % des contrôles assurés par les inspecteurs de l’Éducation nationale concluent au caractère satisfaisant de l’instruction à l’issue d’une première rencontre avec les enfants et leurs représentants légaux (1, 2).
Si le premier contrôle n’est pas concluant (7 % des cas), un second contrôle est effectué, pouvant aboutir à une injonction de scolarisation dans un délai de 15 jours (un tiers de ces deuxièmes contrôles).
Pour l’année 2016-2017, il y a eu 83 injonctions de rescolarisation, soit moins de 1 % des enfants contrôlés (1). Cela fait 99 % d’enfants pour lesquels la situation a été jugée conforme au droit à l’instruction de l’enfant (1, 2). Ces chiffres sont corroborés par ceux de récentes recherches en sciences de l’éducation (3).
1- Rapport du Sénat n° 595 du 07 juillet 2020
2- Najat Vallaud-Belkacem, Garantir le droit à l’éducation pour tous les enfants, Conférence de presse du 9 juin 2016 : https://www.dailymotion.com/video/x4fdean
3- Bongrand P, Glasman D, Instruction(s) en famille. Explorations sociologiques d’un phénomène émergent, Revue française de pédagogie 2018/4 (n° 205) https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2018-4-page-5.htm
En complément des compétences et connaissances des parents, les familles font appel à différentes compétences dans l’entourage familial ou amical, recourent à des cours – particuliers ou par correspondance – et n’hésitent pas à monter en compétence pour mieux épauler leur(s) enfant(s).
Par « capacité des parents », on peut entendre « niveau de connaissances » (diplômes) mais aussi « aptitude à savoir rassembler les conditions propices à l’apprentissage par l’enfant » : de l’environnement affectif et relationnel à la mise à disposition d’outils et supports d’apprentissage adaptés. Cela rejoint toute une gamme de capacité des parents, depuis nourrir l’enfant jusqu’à l’instruire.
Les parents s’adaptent d’autant plus aisément qu’ils n’ont pas à gérer un groupe classe. Ils s’inspirent des pédagogies classiques et innovantes. Les moyens disponibles à l’heure du numérique sont pléthores, les diplômes ne sont pas forcément synonymes de compétences de transmission.
Le témoignage de l’éditeur La Librairie des Ecoles est éclairant sur la capacité des parents IEF à trouver des outils innovants :
« Cette décision [restreindre l’instruction en famille (IEF), ndlr] représente un grave danger pédagogique. En effet, depuis quatorze ans que je suis éditeur scolaire, voici ce dont je peux témoigner : (…)
- ce sont les parents IEF qui ont fait connaître la méthode de Singapour à l’Éducation nationale, et non l’inverse (j’ai reçu de nombreux témoignages d’inspecteurs qui l’avaient découverte en inspectant des familles il y a plus de dix ans !) ;
- ce sont les parents IEF qui ont remis au goût du jour la pédagogie Montessori et permis sa renaissance spectaculaire ces dix dernières années ; (…)
- de manière générale, la diversité des pratiques pédagogiques seule permet l’innovation, l’esprit critique et au bout du compte l’efficacité des méthodes utilisé
Je me place évidemment du seul point de vue pour lequel je peux revendiquer une expertise, celui de la pédagogie. Et de ce point de vue au moins, la suppression de l’instruction en famille serait un désastre. », https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=2684403208441581&id=1532321596983087
3- Est-ce un souci si des fratries sont séparées, certains enfants étant autorisés à être instruits en famille et d’autres non au sein d’une même fratrie ?
Les situations familiales sont très variées : dans certaines fratries IEF, tous les enfants sont instruits à la maison ; dans d’autres, certains enfants vont à l’école et d’autres sont instruits en famille. Cela dépend de l’organisation de chaque famille et du profil de chaque enfant.
Il paraît délicat de séparer des fratries dont l’ensemble des enfants veulent être instruits en famille, au risque de stigmatiser celui qui aurait l’autorisation, notamment dans le cas de handicap.
Séparer les fratries réduirait la qualité de la socialisation au sein de la famille et l’émulation dans les apprentissages. En effet, les enfants apprennent beaucoup les uns des autres lorsque les échanges sont rendus possibles grâce à l’IEF.
4- En cas d’autorisation à demander aux autorités, le silence de l’administration vaudra-t-il rejet ?
Dans une version précédente du texte de loi, il était prévu que « le silence gardé par l’autorité compétente de l’État en matière d’éducation sur la demande d’autorisation vaut rejet ».
Ce point semble ne plus apparaître dans le texte actuel mais pourrait figurer dans un décret.
La loi du 12 novembre 2014 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens a prévu que l’écoulement du délai vaut désormais accord tacite, sauf exception.
5- Quelles seraient les conséquences sur les familles en cas d’adoption de l’article ?
En cas d’adoption de l’article 21, les familles instruisant actuellement leurs enfants envisagent de :
- les inscrire à l’école à contre-coeur, cependant :Elles pourront rencontrer des difficultés au regard du calendrier législatif : les dates de clôture pour les inscriptions en établissements scolaires (public ou privé) seront certainement dépassées au moment du vote définitif de la loi. Pour les inscriptions en établissements privés, les délais d’inscription peuvent dépasser l’année, inscription en mars/avril/mai de l’année n pour la rentrée de l’année n+1 voire de la rentrée n+2.
- Les familles sont inquiètes de l’impact de ce retour forcé à l’école sur leur(s) enfant(s) au niveau psychologique et physiologique. Que devient l’intérêt supérieur de l’enfant si son consentement n’est pas recherché ni son avis pris en compte ? Que deviennent les libertés individuelles si les choix des parents dans l’intérêt de leur enfant ne sont pas respectés ?
- Des auxiliaires de vie scolaires (AVS) seront-elles disponibles pour accompagner les enfants au profil particulier ?
- Comment obliger des enfants à aller à l’école lorsqu’ils ne le veulent pas, sans avoir recours aux violences éducatives ordinaires (VEO) prohibées par l’article 371-1 du Code civil ?
- monter leur dossier pour les demandes d’autorisation ;
- déménager pour quitter le pays ou pour se rapprocher d’une école choisie pour des raisons pédagogiques notamment, avec un impact financier important défavorisant les familles aux revenus modestes qui ne pourront pas forcément financer la scolarité de leurs enfants en écoles privées ;
- entrer en désobéissance civile ;
Le ministère de l’Intérieur nous a indiqué que les services sociaux seraient missionnés pour obliger les familles à mettre leurs enfants à l’école. Ces services ont-ils vraiment du temps à perdre avec des familles qui souhaitent juste instruire leur(s) enfant(s) et le font bien ?
- entamer des démarches judiciaires pour recouvrer la liberté d’instruction.
Pour davantage de détails, voir les résultats du sondage effectué par la fédération Felicia en novembre 2020 sur un panel représentatif de 3 654 familles représentant 6 295 enfants en IEF : https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-IEF-page-20.pdf
6- Comment les familles en IEF s’organisent-elles ?
Les familles, selon leurs convictions, les âges et besoins de leurs enfants, soit :
– encadrent formellement les apprentissages ;
– se réfèrent à diverses pédagogies qu’elles adaptent aux besoins de leurs enfants ;
– partent des initiatives des enfants concernant leurs apprentissages. Les parents sont alors des accompagnateurs qui encouragent le développement de la curiosité, de la sagacité et de l’autonomie des enfants.
En pratique, ces différentes approches sont souvent utilisées conjointement et adaptées selon le profil, l’âge et le projet de chaque enfant. Si les chemins peuvent être diversifiés, autorisant de multiples innovations pédagogiques, l’objectif à atteindre est la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture de l’Éducation nationale.
Les familles IEF sont organisées en réseau via de nombreuses associations locales (qui organisent sorties et ateliers pédagogiques ponctuels ou activités sportives régulières) et nationales.
Les familles forment des groupes d’échanges pédagogiques, discutent sur leurs pratiques et difficultés, sur le matériel et les ressources. Parmi les familles instruisant sans école, tous les milieux socio-économiques sont représentés, favorisant une réelle mixité sociale.
De plus, 94 % des enfants participent à des activités extra-scolaires hebdomadaires avec des enfants scolarisés de leur âge, rythmant l’organisation familiale et leur apprenant à respecter des contraintes horaires (sondage Felicia, novembre 2020).
Une reconversion professionnelle ou des aménagements tels qu’un passage à temps partiel d’au moins un des parents sont souvent nécessaires pour permettre la disponibilité nécessaire à l’instruction des enfants (Bongrand, 2018).
Loin des clichés genrés, 84 % des pères assument au moins un tiers de l’instruction des enfants et deux tiers des mères instruisant leurs enfants exercent une activité professionnelle en parallèle (sondage Felicia, novembre 2020).
7- Que deviennent les enfants qui ont fait l’IEF, quels adultes deviennent-ils ?
Rappelons tout d’abord que la plupart des enfants concernés ont un parcours mixte. En effet, l’IEF est davantage pratiquée sur les niveaux primaires (33 % en maternelle, 52 % en primaire) que collège (13 %) ou lycée (2 %), ce qui signifie que la majorité des enfants qui « ont fait l’IEF » ont « fait des classes en collège et/ou en lycée » (sondage Felicia novembre 2020 ; Bongrand, 2018).
Il existe aussi des enfants qui ont grandi uniquement en IEF, sans que cela ne nuise à leur insertion professionnelle ou à la poursuite d’études supérieures.
Nous avons, suite à votre question, rassemblé quelques témoignages : https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-IEF-quels-adultes-deviennent-ils.pdf
Ces témoignages rejoignent l’expérience de terrain des associations sur de longues années : les enfants instruits en famille deviennent de jeunes adultes autonomes, avec de bonnes compétences relationnelles.
- Nos témoins, une dizaine de jeunes adultes aux profils divers, ont tous comme point commun d’avoir été instruits en famille à un moment donné.
- Ce mode d’instruction leur a donné le goût d’apprendre avec enthousiasme ou de réapprendre avec joie grâce à la confiance retrouvé
- Loin des préjugés sur l’importance de conditionner les enfants à se conformer dès le plus jeune âge à un cadre avec des horaires stricts, la liberté permise dans leur enfance a été un atout pour s’adapter au cadre scolaire et pour entrer positivement à l’université ou dans le monde du travail.
- Ces ex-enfants ont eu du temps pour apprendre par eux-mêmes, se connaître. Ils sont désormais de jeunes adultes autonomes et débrouillards, insérés dans la vie sociale.
- En réalité, ils n’ont jamais eu l’impression d’avoir à s’insérer puisque étant acteurs de leur vie depuis leurs années IEF. Ils ne ressentent pas de rupture franche, plutôt une progression en confiance de la compréhension du monde qui les environne et la capacité à saisir les opportunités selon leurs aspirations.
8- Y a t-il des allers-retours entre IEF et instruction en établissements ?
Comment se passe l’intégration en école pour les enfants ?
Des allers-retours entre IEF et école sont possibles – voir les témoignages de Kevin, Anne-Laure, Côme (https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-IEF-quels-adultes-deviennent-ils.pdf ).
D’après les études en cours de l’équipe de Philippe Bongrand, dans un département urbain, la moitié des enfants instruits en famille ne le sont que pour un an, le temps d’une transition.
Les jeunes qui sont scolarisés après une période en instruction en famille sont, sauf dans les cas exceptionnels d’injonction de scolarisation par l’inspection académique, motivés et acteurs dans cette démarche.
Les familles qui décident de scolariser associent pleinement leurs enfants à la prise de décision – même si celle-ci revient au final aux parents. Cet engagement, à la fois de la famille et des jeunes, explique que les retours choisis à l’école se passent bien.
L’IEF peut être utilisée comme une pause nécessaire pour de nombreux enfants, elle doit rester facile et rapide d’accès via un mode déclaratif.
Les enfants non scolarisés qui décident de valider un diplôme niveau bac y parviennent dans des proportions similaires à celles des enfants scolarisés (voire supérieures car ils sont portés par leur motivation). Les éventuelles difficultés à accéder aux universités de leur choix en France sont avant tout administratives, l’admission s’appuyant en général sur le dossier scolaire.
Aux États-Unis, les enfants instruits en famille ont un taux d’entrée égal ou supérieur à celui de leurs homologues scolarisés aux universités des leur choix (Riley G., Gray P., 2015). Certaines grandes universités nord-américaines ont même créé des filières spécifiques de recrutement d’étudiants avec un profil IEF.
9- Faut-il compléter l’arsenal juridique pour encadrer l’IEF ?
L’instruction en famille (IEF) est une modalité d’enseignement déjà très encadrée par le Code de l’éducation (articles L131, L311-1, R131-12 à R131-18) :
- Tous les deux ans, les familles sont contrôlées par la mairie, qui demande la raison de ce choix. Seulement 1,4 % (environ 400 familles) déclarent le faire pour des raisons religieuses, toutes religions confondues (Dgesco, Enquête portant sur l’instruction dans la famille, Décembre 2016).
- Tous les ans, l’inspection académique vérifie le respect du droit de l’enfant à l’instruction et évalue l’acquisition progressive du socle commun de connaissances, de compétences et de culture tel qu’il est défini par l’Éducation nationale. La conformité au droit à l’instruction de l’enfant est attestée par les inspecteurs dans plus de 98 % des cas.
L’arsenal juridique existant est suffisant, voir les témoignages des inspecteurs en réponse 14.
Il permet déjà le respect du droit à l’instruction des enfants et interdit les écoles de fait. Seuls les moyens pour le faire appliquer semblent manquer.
En juin 2020, le ministre de l’Éducation nationale soulignait : « La liberté d’instruction en famille a un fondement constitutionnel puissant et qu’on ne peut que reconnaître, et qui est, je pense, positif […] À l’heure actuelle, je pense qu’il faut appliquer les règles que nous avons établies dans la loi de 2019 […] Sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre. » https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200615/ce_radicalisation.html
10- Serait-il pertinent de travailler de manière concertée ou en lien avec l’Éducation nationale ? À quel niveau ?
L’interface Éducation nationale / IEF serait délicate à mettre en place via les écoles. Les professeurs sont investis auprès de leurs classes et des projets associés, les directeurs/trices d’école ont un travail colossal. Comment pourraient-ils encore se voir affecter une mission de plus ?
De plus, si un enfant quitte son école pour des raisons de harcèlement ou de phobie, il pourrait être difficile qu’il ait à revenir dans cet établissement.
L’étude d’impact du gouvernement pour ce projet de loi prévoit 420 équivalents temps plein (ETP) nécessaires pour réintégrer les enfants IEF au sein des établissements de l’Éducation nationale de premier degré public.
Nos associations proposent que ces postes soient investis auprès des inspections académiques pour réaliser un travail de concertation de fond entre les associations nationales et locales d’IEF et l’Éducation nationale autour de ces questions : comment réaliser des ponts entre l’Éducation nationale et l’IEF dans un sens comme dans l’autre, dans l’intérêt des enfants ? Comment améliorer les conditions des contrôles ?
Depuis de nombreuses années, nous cherchons à créer des liens avec l’Éducation nationale, via le ministère ou via les directeurs académiques des services de l’Éducation nationale (DASEN), notamment pour échanger autour des différences de pratiques entre instruction en famille et instruction en établissement.
Les incompréhensions parfois rencontrées lors des contrôles peuvent en effet être liées à la méconnaissance des pédagogies alternatives et à la volonté d’éprouver le niveau des enfants par des tests scolaires standardisés sans s’intéresser aux travaux que les familles aimeraient présenter.
Les échanges entre les familles et les agents de l’Éducation nationale (inspecteurs, enseignants) sont possibles et ont déjà lieu au niveau individuel. Les associations sont prêtes à coopérer pour créer des ponts à un niveau plus institutionnel.
11- Y-a-t-il des faiblesses ou des carences dans les matières enseignées en IEF ?
Lors des contrôles des familles IEF, l’accent est mis par l’Éducation nationale sur les mathématiques et le français, mais les inspecteurs et conseillers pédagogiques regardent aussi l’ensemble des travaux présentés par la famille dans les autres matières.
Les contrôles des inspecteurs de l’Éducation nationale indiquent que l’enseignement est conforme au droit à l’instruction de l’enfant dans plus de 98 % des cas (lire aussi la réponse à la question 2).
Comme les enfants instruits à l’école, les enfants instruits en famille ont bien sûr des acquis plus ou moins bons suivant les matières et surtout suivant leurs centres d’intérêts. En effet, poussés par leur curiosité, ils ont de nombreuses connaissances dans les domaines qui les intéressent le plus (histoire, animaux, informatique, dessin, par exemple), car ils ont le temps d’approfondir.
De plus, les associations et collectifs locaux organisent de nombreuses sorties, visites d’expositions, ateliers dans les musées, permettant d’apprendre en situation et de manière transversale.
Les contenus éducatifs sur connexion de la plate-forme éducative en ligne Lumni devraient être accessibles aux parents instruisant leurs enfants en famille. Actuellement, ils sont réservés aux enseignants et aux « animateurs, éducateurs, médiateurs des associations nationales agréées Jeunesse Education Populaire et/ou agréées en tant que complémentaires de l’enseignement public, ainsi qu’à leurs structures affiliées », https://enseignants.lumni.fr/ . Un code d’accès pourrait être adressé aux familles par l’inspection académique avec la lettre accusant réception de la déclaration des parents du choix de l’IEF.
12- Un regroupement périodique des enfants IEF en école pour vérifier où ils en sont serait-il pertinent ?
Le niveau des enfants est actuellement vérifié lors de contrôles pédagogiques qui doivent être adaptés et personnalisés pour être pertinents et constructifs – voir aussi les réponses aux questions 2, 10, 11 et 21).
L’école serait un lieu intimidant et inadapté car trop éloigné des conditions habituelles d’apprentissage des enfants.
Les enfants qui souhaitent être rescolarisés s’adaptent bien à l’école : il n’y a pas de crainte à avoir sur le fait que les enfants en IEF ne côtoient pas l’école régulièrement. 94 % des enfants participent en effet régulièrement à des activités culturelles, artistiques ou sportives avec des enfants scolarisés de leur âge. Ils connaissent ainsi les réalités de l’école par leurs pairs mais aussi par la littérature jeunesse et autres dessins animés ou émissions éducatives qui font de l’école un sujet prépondérant.
Les représentants de l’Éducation nationale proposent parfois que l’enfant passe des tests en tête-à-tête avec un adulte qu’il ne connaît pas. Les enfants instruits en famille peuvent ainsi être confrontés très jeunes à une vérification de leurs savoirs suivant des modalités qui apparaissent en fin de collège pour les enfants scolarisés en établissement, lors de l’épreuve orale du brevet des collèges.
Puisque le contrôle de l’instruction doit prendre en compte les choix éducatifs des parents, il est indispensable qu’ils soient présents, dans l’intérêt de l’enfant.
13- Le rattachement des enfants IEF à une école ou leur participation à la journée de rentrée scolaire serait-il pertinent ?
Nous ne comprenons pas en quoi une participation à une journée de rentrée scolaire ou un rattachement administratif à une école permettrait de conforter les principes de la République.
Si la question porte sur la socialisation des enfants, il a été montré que les enfants qui ont grandi en dehors de l’école présentent des capacités relationnelles au moins équivalentes à leurs homologues scolarisés. Ils possèdent des capacités d’autonomie et d’auto-détermination plus élevées (Batterbee 1992 ; Ray 1997a ; 2004a ; Coalition, 2014 ; Riley G., 2015).
Il a aussi été montré que les enfants instruits en famille participaient davantage aux activités culturelles et familiales que leurs homologues scolarisés (Merry and Howell, 2009 ; Hamlin, 2019).
Ces données sont corroborées par un récent sondage (novembre 2020) conduit par le collectif Félicia avec le soutien méthodologique du Professeur Christine Brabant auprès d’un quart des enfants déclarés instruits en famille : 94 % d’entre eux participaient à des activités extérieures avec d’autres enfants scolarisés de leur âge (musique, sports collectifs).
Lors d’une éventuelle entrée tardive à l’école, au collège, les enfants instruits en famille ne présentent pas spécialement de problèmes d’intégration, d’interactions sociales et de gestion émotionnelle par rapport à leurs homologues scolarisés (Galloway & Sutton, 1995 ; Sutton & Galloway 2000 ; Bolle, Wessel, & Mulvihill, 2007; Saunders, 2009-2010).
À l’inverse, More et Squires (2009) ont trouvé que les collégiens qui avaient été instruits en famille toute leur vie ont de meilleurs scores à des tests mesurant leur degré d’ouverture à de nouvelles expériences.
Une étude a montré que 67 % des parents qui pratiquent l’instruction en famille invoquent la socialisation comme la motivation principale de leur choix (Mc Quiggan et al., 2017).
Enfin, il a été démontré que les enfants instruits en famille devenaient des adultes plus investis dans la vie locale, associative et politique de leurs quartier, ville ou pays. En effet, ces adultes présentent des taux de participation au vote supérieurs à la moyenne de leurs concitoyens, participent davantage qu’eux aux organisations civiques (Smith and Sikkink, 1999 ; Ray, 2004a), et sont politiquement plus tolérants (Cheng, 2014).
14- Les associations IEF ont-elles des propositions pour la lutte contre la radicalisation et la maltraitance des enfants ? Et pour éviter le dévoiement de l’IEF ?
Le cadre existant est suffisant pour repérer les cas de radicalisation. Ce sont les professionnels de l’Éducation nationale qui le disent :
La circulaire du 14 avril 2017 de l’Éducation nationale considère ainsi que : « La vérification de l’acquisition de l’ensemble des connaissances et des compétences du socle commun est un des moyens qui peut permettre d’apprécier si l’enfant est soumis à une emprise contraire à son intérêt, notamment une emprise sectaire, ou s’il se trouve dans un contexte de risque de radicalisation. »
Antonello Lambertucci (syndicat des inspecteurs d’Académie) déclare : « Le risque ici est de prendre une décision globale sur l’instruction à domicile en ignorant sa diversité et sa complexité […] On aura fait sortir de nos « radars » un certain nombre de familles « à risque » pour lesquelles, jusqu’ici, nos contrôles portaient leurs fruits, et permettaient, comme le confirment les propos mêmes du Président de la République, de signaler les cas les plus inquiétants et de repérer l’existence de structures clandestines illégales auxquels ces enfants sont parfois confié […] ». https://www.syndicat-ia.fr/wp-content/uploads/2020/10/SIA-Revue-37_novembre_20.pdf
Jean-Yves Bessol (inspecteur) indique : «[À l’Inspection académique de Lille], je pense que mes inspectrices et mes inspecteurs sont capables de repérer. Il y a effectivement une procédure spécifique dans le département où je leur demande de m’alerter immédiatement.
Journaliste : S’il y a des cas de radicalisation ?
Jean-Yves Bessol : En tout cas, s’il y a suspicion de, de manière à ce qu’on puisse creuser. »
De plus, le mode d’instruction retenu par une famille n’a pas de lien avec le processus de radicalisation. Ce phénomène peut se produire que les enfants soient scolarisés ou non[1].
Le cas des enfants déclarés comme instruits à domicile et qui seraient réunis au sein d’une école religieuse non déclarée est déjà prévu par le Code de l’éducation à l’article L.131-10 qui interdit de rassembler plusieurs fratries en vue de leur instruction. Les contrôles sont efficaces et permettent déjà de mettre en évidence les écoles de fait et de les faire fermer[2].
Si une partie des enfants fréquentant certaines de ces structures est aujourd’hui déclarée en IEF, ce sont justement les contrôles liés à l’IEF qui permettent de les repérer. Si l’article 21 du projet de loi était adopté, les familles fréquentant ce genre de structures ne demanderaient probablement pas une autorisation qui leur serait refusée et se contenteraient de ne pas déclarer, ce qui limiterait les moyens d’agir de l’État. De plus, ces structures pourraient continuer à exister avant ou après le temps scolaire. L’article 21 du projet de loi irait donc à l’encontre de son objectif affiché.
Lors de son audition devant la Commission spéciale le 15 janvier 2021, Mme Lucile Rolland, cheffe du Service central du renseignement territorial de la direction générale de la police nationale a déclaré :
« Il y a aussi des parents qui considèrent qu’un enfant est mieux instruit par ses propres parents […] parce que c’est un tête-à-tête et non pas un professeur avec 30 élèves. C’est pour ça qu’il est extrêmement compliqué, pour moi, de faire un lien direct entre l’augmentation du repli communautaire et l’augmentation de l’instruction à domicile […] »
Les contrôles pédagogiques – qui peuvent être inopinés – et l’enquête de la mairie peuvent déclencher une procédure auprès des services sociaux en cas de doutes quant à une éventuelle maltraitance.
Notons cependant que des parents qui n’auraient pas envie de passer trop de temps à s’occuper de leurs enfants ne choisiraient pas l’instruction en famille, qui implique de se rendre disponible sur des amplitudes horaires extensives.
Réduire la radicalisation et la maltraitance dans la société en général passe par :
- la réduction de la compétitivité ;
- l’inclusion ;
- et l’acceptation de la différence et de la diversité.
Une professeure de danse en conservatoire témoigne de l’apport de l’IEF en termes d’inclusion : « Ils [les enfants instruits en famille, ndlr] m’ont beaucoup appris. J’ai adapté ma pédagogie à leur réalité, ce qui m’a amenée à penser l’apprentissage autrement que celui que je pratiquais dans des structures plus conventionnelles […] En les côtoyant, j’ai acquis une notion fondamentale : accepter de ne pas être dans la culture du résultat. Chacun avance à son rythme, et son avancée est propre à lui, relative à ses capacités qui ne sont pas évaluées au regard d’un modèle établi, et néanmoins peuvent aller loin […]
Une des expériences les plus marquantes […] a été, à n’en pas douter, la possibilité d’accueillir au sein de ce groupe des enfants en situation de handicap. Le cours s’est alors transformé en « cours de danse en inclusion ». Un enthousiasme à toute épreuve a alors régné dans les cours, transformant radicalement « l’impossible » en « un possible ». Un véritable bonheur partagé, où la notion d’être humain simplement est venue supplanter celle d’être humain différemment. » https://temoignages-ief.fr/2020/10/27/nanou-malakoff
Selon l’étude de Philippe Bongrand et Dominique Glasman, l’essentiel des enfants hors radars est constitué « de mineurs étrangers isolés et d’enfants vivant dans des conditions d’extrême pauvreté (familles en grande précarité, Roms, migrants…), dont les parents soit ignorent l’obligation scolaire, soit, surtout, n’ont pas les moyens de la respecter : conditions de logement en bidonvilles, squats ou hôtels sociaux, éloignement des aires de stationnement par rapport aux établissements scolaires, urgence des problèmes immédiats de survie. Parfois, ce sont des maires qui, en dépit de leur obligation, rappelée par la circulaire du 2 octobre 2012, de scolariser les enfants quelle que soit la situation de leurs parents (qu’ils disposent ou non d’une carte de séjour), se refusent à le faire en arguant du fait que la famille n’est pas domiciliée sur le territoire de leur commune. »
La suppression du libre choix de l’instruction en famille ou l’attribution d’un numéro INE pour chaque enfant inscrit permettra-t-il une meilleure identification et un meilleur suivi de ces enfants ?
Comment imaginer que les personnes qui ne déclarent pas leurs enfants actuellement le feraient soudainement parce que la loi renforcerait les conditions d’accès à l’IEF ?
On pourrait imaginer que les enfants instruits en famille dont les parents sont très religieux subissent fortement leur influence et, dans ce cas, l’école serait une ouverture. L’inverse a été démontré par Uecker qui conclut dans son étude, en 2008, que pour les familles dont les parents sont profondément religieux, le mode d’instruction (en famille ou à l’école) n’avait aucune influence statistiquement significative sur les croyances et les engagements de leurs enfants. Autrement dit, il n’y a pas de lien entre le mode d’instruction et les croyances religieuses des enfants, l’instruction en famille n’accroît pas l’influence idéologique des parents sur leurs enfants par rapport à l’instruction à l’école. Il a aussi été démontré que la scolarisation en collège n’entraînait pas de remise en cause des modèles politiques et religieux issus du milieu familial des enfants scolarisés (Marzluf, 2009).
[1]– Raphaël Liogier, sociologue à l’IEP d’Aix-en-Provence, spécialiste des questions d’islamisation, insiste sur la problématique du diagnostic des causes de la radicalisation : « Je crois que les mesures ne sont pas adaptées parce que le diagnostic est faux […] Ce sont avant tout des individus qui se trouvent dans une dérégulation sociale [isolement – y compris vis-à-vis de la famille, ndlr -, manque d’estime de soi et perte de sens] qui versent dans le terrorisme. Ils sont d’abord animés par un esprit de vengeance et se tournent dans un second temps vers l’islamisme pour passer à l’action. » (https://www.france24.com/fr/20201003-l-%C3%A9cole-obligatoire-d%C3%A8s-trois-ans-scandalise-les-familles-qui-pratiquent-l-instruction-%C3%A0-domicile).
[2]– Par exemple : « Au cours de l’année 2016-2017, les contrôles de l’instruction à domicile ont révélé l’existence de 11 écoles de fait, dont 5 ont fait l’objet d’une saisine du procureur de la République » (https://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/commissions/CAffCult/Communication%20Mission%20Flash.pdf).
15- Quel seraient les impacts d’un retour à l’école des enfants instruits actuellement en IEF ?
Lire aussi la réponse à la question 5.
L’étude d’impact du gouvernement n’a évidemment pas pu apporter de preuve que l’instruction en famille irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant puisque cela serait en contradiction avec l’ensemble des publications scientifiques sur le sujet.
Le rapport 2017 du défenseur des droits soulevait déjà qu’il était « dommage que le plan interministériel très attendu de lutte contre les violences faites aux enfants soit uniquement axé sur les violences intrafamiliales et ne concerne pas l’ensemble des violences faites aux enfants, en particulier les violences institutionnelles ».
Comment forcer des enfants à retourner dans l’école où ils se sont fait harceler (harcèlement pas forcément reconnu par l’école) ? Comment obliger un enfant en phobie scolaire à retourner à l’école (700 000 enfants victimes de harcèlement scolaire en France selon les chiffres de l’Éducation nationale)1 ?
Comment garantir l’intérêt supérieur de l’enfant sans prendre en compte son avis ni celui de ses parents auxquels incombe l’autorité parentale ?
« Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, de la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant » (Cons. const., 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC).
Au delà de souffrances psychologiques liées à une scolarisation forcée, les enfants qui seraient contraints à aller à l’école disposeraient de moins de temps pour leurs activités et devraient en arrêter certaines.
On peut aussi anticiper une augmentation des contentieux entre les familles et l’administration scolaire, et des soucis au sein des établissements, notamment si certains enfants ont besoin d’un accompagnement par une auxilliaire de vie scolaire mais n’en bénéficient pas ou en cas de troubles du comportement plus ou moins envahissants (2).
1- https://www.education.gouv.fr/lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-289530
2- https://www.facebook.com/groups/903182120223214/discussion/preview (courrier aux membres de la Commission spéciale – janvier 2021 : 22 pages).
16- Pourquoi les familles sont-elles tant attachées à l’instruction en famille ?
Cette question mériterait plusieurs pages de développement, les raisons de l’attachement à l’IEF sont très nombreuses. Les familles qui font ce choix pour leurs enfants sont très diverses et tous les milieux socio-économiques sont représentés. Cependant, les études sociologiques révèlent qu’elles se retrouvent autour d’un point commun : la volonté des parents de respecter les rythmes d’apprentissage des enfants, dont les parents constatent concrètement l’importance et le bénéfice.
Les 24 extraits de témoignages de familles que nous avons rassemblés pour vous permettre de mieux appréhender la réalité des familles illustrent la grande diversité de leurs motivations et aussi à quel point l’IEF participe à la résilience du système scolaire en France, dans l’intérêt des enfants : https://droit-instruction.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-IEF-temoignages-familles.pdf
Le libre choix de l’IEF est capital à maintenir, il est le signe d’une démocratie en bonne santé.
17- Comment expliquer qu’un fort pourcentage des parents instructeurs soient professeurs ?
Les estimations du nombre d’enfants instruits en famille ayant au moins un parent enseignant varient de 10 à 30 %. C’est en effet davantage que la proportion d’enseignants dans la population générale qui est de 3 % (900 000 enseignants sur 29 millions d’actifs).
Les enseignants-parents IEF connaissent mieux l’Éducation nationale que les parents non enseignants et peuvent être moins impressionnés par la décision et par la responsabilité que représente le fait d’instruire ses enfants.
Connaissant le système de l’intérieur, ils estiment aussi parfois aussi que leur enfant aurait du mal à s’épanouir dans le cadre proposé.
La validation officielle donnée par le diplôme d’enseignant donne vraisemblablement davantage de courage et de reconnaissance sociale dans le cadre d’un projet d’IEF.
Certains enseignants-parents IEF tentent de travailler avec leurs élèves selon des pédagogies fondées sur la motivation mais se rendent compte que cela est difficile à mettre en oeuvre dans le contexte scolaire. En instruisant leurs enfants, ils peuvent valoriser leurs compétences en termes de transmission de savoirs et de compétences.
18- Pourquoi la grande majorité des enfants IEF est-elle en maternelle et en primaire ?
Parmi les 40 000 enfants qui ne sont pas inscrits aux cours par correspondance réglementés (CNED), 85 % sont en primaire (33 % en maternelle et 52 % du CP à la sixième). Seulement 13 % sont au niveau collège (cycle 4) et 2 % au lycée (sondage Felicia, novembre 2020).
Cela s’explique par le fait qu’en grandissant les enfants peuvent avoir envie de découvrir l’école, le collège et surtout le lycée, notamment pour être davantage en interaction avec d’autres jeunes de leur âge.
La probabilité de retour à l’école augmente avec l’âge de l’enfant, ses projets peuvent nécessiter un dossier scolaire, des diplômes, alors il choisit librement la scolarisation.
Accompagner l’enfant jusqu’à une étape donnée (début du collège, brevet, bac) peut être le projet de la famille, comme un contrat passé, suivant les capacités des parents.
19- Quel a été l’impact sur l’IEF de l’obligation d’instruction dès 3 ans ?
L’abaissement de l’obligation d’instruction à 3 ans oblige les familles à choisir fermement le mode d’instruction de leur(s) enfant(s) plus rapidement puisqu’ils sont tenus de déclarer s’ils souhaitent ne pas scolariser leurs enfants dès 3 ans.
La période de l’école maternelle pouvait être une période plus souple pour découvrir l’école en respectant le rythme physiologique de l’enfant, par exemple en allant à l’école le matin et en faisant la sieste à la maison l’après-midi. Cette souplesse est moins acceptée par les écoles désormais.
Les enfants entre 3 et 5 ans entrent maintenant dans les statistiques de l’IEF dont ils représentent le tiers des effectifs. Ils s’ajoutent aux contrôles à réaliser.
Les contrôles pour ces très jeunes enfants peuvent être encore plus impressionnants que pour les enfants de plus de 6 ans, l’interaction avec un adulte inconnu pouvant être difficile pour certains.
20- L’attribution d’un numéro d’identification national (INE) à tous les enfants permettrait-t-elle de mieux contrôler les enfants en IEF ?
Les enfants non déclarés, par définition, ne font pas partie de l’effectif de l’IEF. Des dispositions réglementaires existent déjà pour recenser les enfants en IEF – articles R131-3 (liste scolaire) et R131-4 du Code de l’éducation.
La création d’un INE ne permettrait pas de mieux contrôler les enfants déjà déclarés.
Les enfants déscolarisés, au sens de retirés de l’école sans être déclarés comme étant instruits en famille, ont un INE mais ils sont quand même « perdus de vue ». Il suffirait d’appliquer l’article L131-8 du code de l’éducation relatif à l’absentéisme.
21- Comment améliorer les conditions de contrôle de l’IEF ?
Les parents sont tenus de faire état d’une progression dans les apprentissages et de dispenser un enseignement qui permette l’acquisition progressive des différents domaines du socle commun de connaissance, de compétences et de culture. Les textes garantissent le respect des choix éducatifs des parents.
Au sein des établissements scolaires, ce sont les professeurs qui sont inspectés. Dans le cadre de l’instruction en famille :
- les parents doivent « [préciser] la démarche et les méthodes pédagogiques [mises] en œuvre » et « [présenter] à la personne chargée du contrôle des travaux réalisés par l’enfant au cours de son instruction » ;
- l’enfant est lui aussi évalué : « [il] effectue des exercices écrits ou oraux, adaptés à son âge et à son état de santé » (article R.131-14 du Code de l’éducation).
En pratique, le contrôle de l’IEF ne porte pas seulement sur les moyens mis en œuvre pour permettre à l’enfant d’atteindre la maîtrise du socle commun, mais comporte aussi une dimension perçue comme étant une « obligation de résultat ». Cette pression peut être difficile à vivre pour les familles, notamment en cas de troubles de l’apprentissage ou du comportement chez l’enfant (dys-, autisme…).
Le contrôle est le plus souvent réalisé au domicile de la famille. Il peut également avoir lieu dans des locaux de l’inspection académique ou d’un établissement scolaire. Créer un climat propice au bien être de l’enfant est essentiel pour que le contrôle se passe au mieux. Le lieu du contrôle pourrait faire l’objet d’un échange constructif pour déterminer ce qui est préférable pour chaque enfant.
Dans le cadre de la liberté d’enseignement, le personnel de l’Éducation nationale a un devoir de neutralité et d’impartialité. Il est important de favoriser le dialogue avec les familles et, quand le droit de l’enfant à l’instruction est respecté, de s’abstenir de porter des jugements de valeur sur les choix éducatifs et pédagogiques des parents. Lors des contrôles, le personnel de l’Éducation nationale peut être en porte-à-faux avec ses propres valeurs ou celles de l’institution qu’il représente et avoir des difficultés à respecter cette impartialité.
De même que l’Éducation nationale est responsable des moyens qu’elle met en œuvre, il est important que les contrôles s’intéressent réellement aux moyens mis en œuvre par les parents pour répondre au droit à l’instruction de l’enfant, et non pas seulement aux performances scolaires de l’enfant, par exemple en insistant uniquement sur le passage par l’enfant de tests standardisés.
Le rôle des inspecteurs est d’être des partenaires pédagogiques apportant leur expertise aux parents.
Puisque le contrôle de l’instruction doit prendre en compte les choix éducatifs des parents, il est indispensable qu’ils soient présents, dans l’intérêt de l’enfant.
Les représentants de l’Éducation nationale proposent parfois que l’enfant réalise des exercices en tête-à-tête avec un adulte qu’il ne connaît pas. Les enfants instruits en famille peuvent ainsi être confrontés très jeunes à une vérification de leurs savoirs suivant des modalités qui apparaissent en fin de collège pour les enfants scolarisés en établissement, lors de l’épreuve orale du brevet des collèges.
Certains contrôles sont aussi proposés en groupes, dans des salles de classe, ce qui est très éloigné des conditions d’apprentissage habituelles des enfants IEF.
L’instruction en famille est parfois choisie suite à une situation difficile à l’école – harcèlement, phobie ou échec scolaire (voir références), violence – ou à un événement particulier extérieur à celle-ci – maladie, accident de la vie.
L’expérience des associations accompagnant les familles est que ces enfants ont besoin de temps pour dépasser le traumatisme. Ils auront parfois une période durant laquelle ils ne progresseront pas ou peu dans leurs apprentissages. Cette période doit être respectée, car elle leur est bénéfique pour retrouver un équilibre personnel avant de retrouver le goût d’apprendre.
Références :
Mabilon-Bonfils B, Les élèves souffrent-ils à l’école ? Des souffrances scolaires « ordinaires » qui ne peuvent se dire…, Adolescence 2011/3 (T. 29 n°3), pages 637 à 664.
Défenseure des droits, Enfance et violence : la part des institutions publiques, Rapport ; novembre 2010. https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rae-2019-num-22.10.19-2_1.pdf
22- Est-ce qu’une déclaration renforcée avec dossier à remplir serait pertinente ?
Quel en serait l’objectif ? Participer à un durcissement supplémentaire du cadre alors qu’aucune donnée objective ne fonde la nécessité d’encadrer davantage l’instruction en famille ? Lire aussi les réponses aux questions 9 et 14.
Les associations ne sont pas favorables à des déclarations renforcées dans le sens où elles pourraient conduire à des discriminations. Le cadre législatif et réglementaire est suffisant : l’enquête de mairie prévue dans les textes actuels permet déjà de connaître les raisons du choix de l’instruction en famille.
La circulaire n°2017-056 du 14 avril 2017 précise que l’enquête de mairie « doit intervenir dès la première année de la période d’instruction dans la famille et être renouvelée tous les deux ans, jusqu’à l’âge de seize ans. Pour qu’elle soit pleinement efficace, il est souhaitable que la première enquête soit effectuée le plus tôt possible après la déclaration ».
Ainsi, les familles déclarant leur choix d’instruction en famille sont contrôlées rapidement après leur déclaration et les éventuelles dérives peuvent ainsi être identifiées peu après la déclaration.
23- Quels seraient les points à améliorer au sein de l’IEF pour l’intérêt de l’enfant ?
Voir les réponses aux questions 10 et 11.
La décision d’instruire ses enfants en famille n’est jamais prise à la légère. Les parents qui choisissent cette voie le font la plupart du temps avec enthousiasme et engagement vis-à-vis de leurs enfants. Ils sont conscients de leurs responsabilités et attentifs.
88 % des parents souhaitent en particulier respecter les besoins, les intérêts et le rythme individuel de leurs enfants (sondage Felicia, Bongrand 2018).
L’article 21 figure dans le projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». Ce texte ne concerne pas l’amélioration du cadre de l’IEF : un futur projet de loi relatif à l’éducation, avec consultation des associations représentant l’instruction en famille en amont et un travail fondé sur des bases rationnelles, serait plus approprié.
24- Comment les parents se rendent-ils disponibles pour l’instruction en famille ?
Chaque famille s’organise en fonction de ses priorités et de ses contraintes. Parfois un des parents arrête son emploi pour se rendre disponible ; parfois les parents se relaient grâce à des horaires décalés, ou à un partage de temps partiels. Parfois encore, ils font garder leur enfant ou embauchent des professeurs pendant leur temps de travail, ou l’un ou les deux travaillent à domicile.
Il existe également des familles IEF monoparentales : chacune établit sa propre organisation pour rendre possible ce mode d’instruction.
Loin des clichés genrés, 84 % des pères assument au moins un tiers de l’instruction des enfants et deux tiers des mères instruisant leurs enfants exercent une activité professionnelle en parallèle (sondage Felicia, 2020).
Les familles instruisant leurs enfants en famille ne sont pas économiquement et socialement favorisées, l’ensemble des catégories socio-profesionnelles est représenté (Bongrand, 2018). Ce constat est corroboré par un sondage en ligne réalisé en 2018 en France auprès de 517 familles, qui a révélé que plus de 56 % des familles en IEF ont un quotient familial inférieur à 1 000 euros. https://fairelecolealamaison.blogspot.com/2018/04/resultats-du-sondage-pour-les-familles.htm l
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Références bibliographiques
Sondage réalisé par Felicia sur plus de 6200 enfants en Novembre 2020 : https://instructionenfamille.org/wp-content/uploads/2020/12/Communique_de_presse_-_Sondage_2020_instruction_en_famille_-_Felicia.pdf
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