Dans le cadre des contrôles pédagogiques, les familles peuvent rédiger à l’intention de l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation un document expliquant leurs choix éducatifs. Ici, le choix des apprentissages autonomes.
Au lieu de considérer comme le fait la scolastique que l’enfant ne sait rien – ce qui est évidemment faux – et qu’il appartient à l’éducateur de tout lui apprendre – ce qui est prétentieux et irréalisable – nous partons, pour notre enseignement, des tendances naturelles, chez tout individu, à l’action, à la création, à l’amour du beau, au besoin de s’exprimer et de s’extérioriser…
Célestin Freinet
Ce document a pour objectif de présenter nos choix éducatifs et de fournir une liste non exhaustive des apprentissages et activités réalisés dans le cadre de l’instruction familiale de nos enfants … et … .
Le législateur garantit aux parents responsables de l’éducation d’un enfant le droit et la liberté de mettre en œuvre les modalités pédagogiques qu’ils jugent les plus respectueuses de la personnalité et du rythme de l’enfant (art. L.111-2 du Code de l’éducation). Pour nous, parents de … et …, le cadre le plus approprié pour mener à bien notre devoir d’éducation est celui de l’instruction en famille.
En donnant à nos enfants l’instruction à laquelle ils ont droit selon les modalités que nous avons choisies, notre but est qu’ils acquièrent les connaissances et les compétences qui leur permettront de devenir des adultes libres et responsables. Ainsi, c’est l’intérêt supérieur de nos enfants qui fonde et détermine nos choix pédagogiques.
L’instruction que nous donnons à nos enfants vise d’une part, le développement des compétences décrites en annexe du décret n°2006-830 du 11 juillet 2006 et d’autre part le développement d’autres compétences que nous, parents, jugeons pertinentes ou pour lesquelles nos enfants expriment un intérêt particulier, tout cela selon une progression et des moyens pédagogiques différents de ceux employés dans les établissements publics ou privés sous contrat comme la loi (art. D131-12 du Code de l’éducation) nous y autorise.
Dans le développement qui suit, nous allons tenter de décrire la démarche pédagogique que nous avons choisie. Vous trouverez en annexe une description succincte des philosophies éducatives de pédagogues confirmés qui nous ont inspirés.
Les apprentissages autonomes
Le mot d’ordre de notre démarche pédagogique est l’autonomie. Favoriser l’autonomie dans les apprentissages est antinomique d’une méthodologie de direction. Ainsi, nous ne dirigeons pas les apprentissages de nos enfants ; nous les accompagnons. Ces apprentissages sont essentiellement guidés par la volonté, les intérêts, les goûts et les besoins de nos enfants qui dès lors, sont acteurs de leur instruction. De ce fait, il serait probablement plus juste de dire que nos enfants s’instruisent plutôt qu’ils sont instruits. Toutefois, si leur personnalité, leur rythme et leurs besoins sont la norme de leurs apprentissages, ils ne sont pas pour autant livrés à eux-mêmes. Notre rôle de parents garants du bien-être de nos enfants est d’être présents et disponibles pour accompagner ces apprentissages. Nous les soutenons et les encourageons dans leurs efforts pour comprendre et s’approprier leur environnement en répondant à leurs questions lorsque nous en connaissons la réponse ou le cas échéant, en leur indiquant d’autres moyens d’accéder à ces réponses. Ces apprentissages se font dès lors tout au long de la journée et non en fonction de séquences de temps ou de matière artificielles.
Notre démarche se fonde sur l’évidence renforcée quotidiennement par nos observations, qu’un enfant parce qu’il grandit, apprend naturellement et tout le temps. Selon Jean-Pierre Lepri, ancien Inspecteur de l’Éducation nationale : « Lorsqu’il est détendu, l’enfant apprend spontanément, car apprendre fait partie de sa nature. »
L’enfant est continuellement sollicité par son environnement. Arpentant le monde, il est sans cesse questionné par ce monde. Il veut le comprendre et le maîtriser ; cela tient d’un besoin vital comme respirer ou marcher. Chaque jour, nous pouvons voir cette soif d’apprendre en action.
Nous avons souhaité préserver le mouvement naturel et spontané de nos enfants qui est de découvrir le monde par eux-mêmes que ce soit par le jeu ou en dehors du jeu, de façon informelle ou plus formalisée. Car les mécaniques en œuvre dans les processus d’apprentissage sont fines, précises et propres à chaque individu. De ce fait, elles sont facilement perturbées, notamment par des interventions inopportunes.
L’enfant n’a pas nécessairement besoin qu’on lui enseigne tout, qu’on intervienne systématiquement dans son effort pour comprendre le monde. Intervenir et diriger est propre à saper sa confiance en sa capacité à maîtriser son environnement. Par exemple, l’apprentissage de la langue maternelle, lexique et grammaire, ne fait jamais l’objet d’un enseignement ; il s’opère spontanément, essentiellement par mimétisme. Alan Thomas, chercheur britannique en sciences de l’éducation confirme ce point de vue lorsqu’il écrit : « Les enfants apprennent la grammaire de leur langue, qui est très complexe, sans qu’on leur enseigne quoi que ce soit. » L’apprentissage est non seulement possible mais il s’avère également plus sûr, plus solide en dehors de la relation enseignant-enseigné. Nous ne nous positionnons pas comme enseignants ou professeurs face à nos enfants et nous ne considérons pas celui-ci comme notre élève. Nous accompagnons, nous sommes à l’écoute, nous nous mettons à disposition de nos enfants. Et ce sont nos enfants qui nous sollicitent, rarement l’inverse. Une intervention, même bienveillante et bien intentionnée, peut ne pas être souhaitée ni souhaitable et même se révéler nocive si elle n’est pas sollicitée. Il nous est arrivé de nous fourvoyer en dispensant plus que l’information qui avait été demandée ; notre zèle entraînait ennui et parfois abandon de l’activité qui avait généré leurs questions. C’est une expérience qui est confirmée par le pédagogue John Holt selon qui : « […] interférer dans les jeux et les apprentissages y met souvent fin. »
Nos enfants refusent souvent l’aide ou l’information qui ne leur est pas utile sur le moment. Ils font un nombre important d’essais et d’erreurs jusqu’à parvenir à leurs fins, créent leurs propres situations d’apprentissage, posent des questions extrêmement précises dans l’attente de réponses tout aussi précises et manifestent avec force contre nos velléités d’interférence. Le jugement ou l’aide non sollicitée remettent en question la validité même de leur fonctionnement et les font douter quant à leurs capacités à gérer leurs apprentissages. Dans un environnement non jugeant, l’erreur ne représente pas pour eux un échec et l’ignorance n’est pas un signe d’insuffisance. L’essai/erreur est une stratégie dynamique pour maîtriser un champ de connaissances, une compétence. En ce qui concerne la maîtrise de la grammaire en particulier, les enfants ne font pas de fautes mais testent la langue ; ils construisent leur système en testant des hypothèses grammaticales.
Par ailleurs, nous ne positionnons pas en « sachants » qui détiennent exclusivement un savoir. Nous n’hésitons pas à dire à nos enfants que nous ne savons pas tout et nous leur montrons que le savoir est disponible sous différentes formes. Personne ne peut et ne doit avoir le monopole d’un savoir ; c’est une conviction philosophique que nous entendons bien communiquer à nos enfants. Le pendant de cette conviction est évidemment que le fait d’ignorer une chose ne réduit en aucun cas la valeur d’une personne. Ainsi, lorsque nous ne savons pas quelque chose, nous proposons à nos enfants de chercher ensemble. De cette manière, ils apprennent à apprendre, ce qui est plus important que d’ingurgiter passivement des contenus, et comprennent que l’apprentissage est à la portée de tous et non un secret détenu par des initiés. Tout cela leur permet incidemment de distinguer les processus de l’apprentissage et le savoir lui-même. De plus, cette attention particulière donnée à l’esprit de recherche, à l’indépendance dans la quête d’information favorise le développement de l’autonomie, la créativité et l’épanouissement.
Les apprentissages informels
En outre, notre démarche pédagogique fait une large place aux apprentissages informels. Les apprentissages informels se font implicitement, sans qu’on s’en rende compte, sans démarche consciente et volontaire, en saisissant les milliers d’indices de l’environnement par l’observation, l’imitation, l’essai/erreur, les échanges, l’exemple le plus important étant le langage. Les activités quelles qu’elles soient sont toutes des portes d’entrée vers des apprentissages concrets qui ne se signalent pas en tant que tels mais simplement se font, presqu’à notre insu.
Dans notre perspective, informel ne s’oppose pas à formel mais à contraint. Car de fait, nous utilisons parfois des supports formels comme des cours académiques (cours Pi, méthode de lecture Ratus, cahiers Nathan ou Bordas, etc.), des logiciels (Tap’touche, Scratch, Redshift, Celestia, etc.) des émissions télévisées (C’est pas sorcier !), des revues pédagogiques (Virgule, les versions « junior » des publications de presse les plus fameuses), qui ont tous des intentions d’apprentissage explicites. Nos enfants vont volontiers vers ces supports si nous ne les y avons pas contraints et si nous avons eu la patience d’attendre qu’ils y soient prêts.
Cette absence d’obligation d’apprentissage, cette absence d’attente (si ce n’est l’évidence, la conviction qu’ils apprendront) et de vérification, la simple présence, la disponibilité, l’accompagnement, la mise à disposition d’un environnement riche et varié ont pour but de préserver le plaisir jubilatoire de la découverte.
De nombreux chercheurs ou spécialistes en sciences de l’éducation rejoignent l’expérience concrète des familles et font des propositions qui vont dans le même sens : se baser sur la motivation à apprendre de l’enfant, rendre l’enfant acteur et constructeur de son apprentissage, proposer des activités qui font sens, éviter les notes qui servent à classer et non à apprendre. Selon le professeur en sciences de l’éducation britannique Roland Meighan1, le taux moyen de mémorisation est faible dans les procédures d’enseignement classiques : 5 % pour l’enseignement formel « au bout d’une semaine », 10 % avec la lecture, 20 % avec l’audiovisuel, 30 % avec une démonstration. Le taux moyen de mémorisation est de 50 % dans un groupe de discussion, 75 % avec de la pratique, 90 % lorsqu’on explique à d’autres et lorsqu’on utilise immédiatement la connaissance.
Les modalités de l’apprentissage informel sont notamment, le jeu, la conversation, l’observation. Toutes ces modalités favorisent l’autonomie, la persévérance, la méthode expérimentale, toutes des compétences majeures attendues du socle commun. L’enfant, en acquérant ce dont il a besoin au moment où il en a besoin, car cet apprentissage fait sens pour lui, dispose de connaissances implicites auxquelles il peut faire appel sans avoir à mobiliser des règles apprises artificiellement. En se basant sur les « éléments de définition de la progression retenue », on peut constater que nombre d’éléments relèvent de fait du vocabulaire, du bon sens et de la culture générale. Pour les quelques éléments plus pointus, mieux vaut les apprendre au moment où on en a besoin, sinon ils seront très vite oubliés
Les apprentissages se font pour nos enfants en fonction de leur personnalité et passent souvent par la conversation et non par un cours type formaté qui ne correspond pas à leur sensibilité. Ils posent des questions, interagissent avec les réponses qu’ils obtiennent et peuvent ainsi aller jusqu’au bout de la réflexion induite par la question. Le quotidien offre de multiples occasions de s’exercer à maîtriser son environnement. Et les apprentissages n’ont pas besoin d’être programmés. Nous abordons des notions fondamentales comme le calcul en faisant des courses, la géométrie en bricolant et les sciences de la nature en nous promenant dans une forêt.
Ainsi, il n’y a pas de calendrier établi à l’avance, pas de journée type. Les apprentissages se font tout le temps au fil des opportunités quotidiennes.
Il est difficile voire impossible pour nous de décrire de façon formelle ou quasi-scientifique une méthodologie a priori, ses points de départ et ses formats de progression des apprentissages. En effet, dans le cadre des apprentissages autonomes, l’enfant guide précisément de façon autonome ses apprentissages. Les points de départ se situent dans ses demandes spécifiques d’information et d’acquisition d’une compétence particulière ; ils s’entrevoient dès lors a posteriori et de façon empirique. De même pour la structure des apprentissages, ils sont le reflet de la personnalité de l’enfant et de ses besoins tels qu’ils se font progressivement jour. Il est courant pour nous d’aborder des notions selon un enchaînement inédit, sans référence à un canon de la succession des apprentissages, un modèle qui diffère du modèle de progression adopté par l’Éducation nationale. Ainsi, pour …, la notion de verbe a été claire avant même qu’il ait pu aborder de manière formelle la notion de phrase dont par ailleurs, il a une compréhension intuitive puisqu’il sait construire des phrases.
La loi garantit cette indépendance vis-à-vis des paliers de progression définis pour les enfants scolarisés.
Conformément à notre choix de favoriser l’autonomie, nos enfants ne sont pas soumis à la direction d’un enseignant ni contraints à un calendrier d’apprentissage qui leur extérieur et de ce fait, leur est néfaste. De nombreuses recherches ont montré qu’il existe des périodes sensibles pour tous les apprentissages. Une pédagogue comme Maria Montessori met cette notion au cœur de sa réflexion pédagogique. Ces périodes sensibles signalent un besoin mais aussi une disponibilité, une ouverture ; les enfants sont prêts à apprendre. La force et la pérennité d’un apprentissage qui se fait en période sensible sont toujours plus importants que dans le cadre d’apprentissages non sollicités et contraints. Une observation frappe les parents d’enfants qui s’instruisent à leur rythme : la rapidité de l’apprentissage lorsque c’est le bon moment. Cela a été le cas pour … avec l’apprentissage de la lecture. Nul besoin d’établir des normes et des fourchettes d’âge : la période sensible, c’est simplement lorsque l’enfant est très intéressé par un sujet, et ce moment est variable selon les enfants. Nos enfants apprennent lorsqu’ils sont prêts pour un apprentissage à savoir lorsque cela a du sens pour eux.
C’est une des raisons pour lesquelles nos enfants peuvent avoir un niveau différent de ce qui est attendu des enfants scolarisés dans les établissements publics ou privés. Et c’est ce qui motive notre refus des tests.
Des apprentissages sans surveillance ni sanction
L’absence d’évaluation et de notation fait intrinsèquement partie de notre démarche pédagogique qui selon la loi doit être respectée. Pour préserver la confiance en eux de nos enfants, nous sommes opposés à ce qu’ils subissent des tests qu’ils soient écrits ou oraux. Tous les travaux en sciences de l’éducation (de Philippe Meirieu à Philippe Perrenoud en passant par les études des systèmes nordiques sans notation avant 14 ans, bien placés dans les études internationales de type PISA) montrent l’inefficacité de la notation, et donc l’inutilité du stress du test, en matière d’apprentissages.
De même, nous serons réticents à présenter des travaux car nous avons eu la triste expérience de constater que ceux-ci pouvaient être utilisés comme des tests indirects. Ainsi, lors du dernier contrôle, … qui était très confiant et prompt à montrer à l’inspecteur qu’il savait lire des mots, a subitement commencé à affirmer qu’il était « nul en lecture » suite aux commentaires désobligeants de l’inspecteur. Un autre de nos enfants a également accusé une grosse baisse de motivation dans sa maîtrise de l’écrit après que l’inspecteur a jugé insuffisant un texte qu’il avait rédigé un an auparavant.
Par ailleurs, il n’est pas toujours possible de produire des traces visibles des apprentissages informels, ce qu’attendent la plupart des inspecteurs qui ne connaissent pas cette démarche pédagogique. L’apprentissage informel ne se met pas en scène, ne se montre pas, ne se signale pas lui-même ; il est implicite et souvent, ne laisse pas de traces visibles et montrables à l’envi.
Nous-mêmes parents, fins connaisseurs de nos enfants, ne sommes pas toujours en mesure d’apprécier pleinement et exhaustivement l’étendue et la richesse des savoirs et compétences de nos enfants.
Nos enfants dirigent leurs apprentissages ; ils ne sont pas habitués à restituer leurs connaissances et compétences dans des situations artificielles, à la demande. De telles demandes de démonstration n’ont du reste pas de sens pour eux ; quand ils connaissent une chose, ils la connaissent sans mise en scène ni ostentation, pour eux-mêmes et non pour autrui. La « restitution » d’une compétence se fait toujours spontanément, de façon inattendue, avec des personnes de confiance, souvent dans une situation très différente de la situation initiale d’apprentissage, preuve s’il en est de leur maîtrise de la compétence en question.
Notre refus des tests se fonde sur notre volonté de ne pas mettre nos enfants en situation d’échec s’ils n’ont pas abordé une notion donnée ou si nous l’avons fait d’une façon différente. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas que nos enfants se perçoivent comme « en retard ». Ils suivent leur rythme, mettent en place leur propre chaîne logique d’apprentissage, investissent les champs de la connaissance selon un schéma qui leur correspond et ils ont, conformément à la loi, jusqu’à seize ans pour maîtriser le contenu du socle commun, avec le même droit à ne pas le maîtriser intégralement que les enfants scolarisés ou que des adultes qui dans leur vie, quotidienne ou professionnelle, ne ressentent aucun besoin de connaître les identités remarquables.
Pour s’assurer qu’un enfant reçoit effectivement une instruction, il n’est pas nécessaire de le soumettre à des exercices, tout individualisés soient-ils, mais de faire confiance à la véracité des propos tenus par les parents en les présumant sincères. La présomption d’innocence est garantie par notre Constitution. Nos propos sur les activités mises en place avec nos enfants et sur ce qu’ils savent doivent être pris au sérieux et non pas soupçonnés de tromperie. Nous avons en vue l’intérêt supérieur de nos enfants.
Le compte-rendu d’instruction
L’observation continue avec compte-rendu d’instruction est difficile voire impossible, le nombre d’éléments à relever étant immense puisque les enfants sont en apprentissage permanent. Ces apprentissages sont transversaux, pluridisciplinaires : les découper en petits morceaux scolaires pour en faire un compte-rendu détaillé est fastidieux.
Nous proposerons donc un compte-rendu succinct comme base de discussion entre l’inspecteur et nous-mêmes, les parents.